Les Loups de La Tuque sont les champions du Canada

Par Raynald Brière (collaboration spéciale)

Il y a 40 ans, les Loups de La Tuque balayaient tout sur leur passage pour gagner le Championnat intermédiaire de hockey du Canada. Un exploit historique qui a jeté la frénésie dans la ville. Raynald Brière, journaliste à CFLM et l’Écho de La Tuque à l’époque, nous rappelle cet événement.

Shawville : c’est là que tout commence. Pas tout à fait, puisque les Loups de La Tuque ont franchi une première étape en disposant de deux équipes de la Ligue Sénior du Saguenay-Lac-St-Jean : Chicoutimi et Alma. Presqu’une formalité, si l’on considère le défi qui se profile à l’horizon.

Mais la vraie bataille, celle de tous les espoirs et de tous les risques, débute réellement à Shawville, petite municipalité de 1 500 habitants, blottie du côté du Québec, mais tout près des limites de l’Ontario. Nous sommes ici en territoire anglophone.

Bryan Murray est l’instructeur des Pontiacs de Shawville; il fait face à Vic Croteau, au tempérament bouillant et qui déteste par-dessus-tout la défaite. Croteau ne fait pas dans la nuance, pas plus que Murray. Ça promet.

Murray est une vedette locale. À 14 ans, il jouait déjà pour les Pontiacs. Natif de l’endroit, son nom résonnera dans plusieurs villes de la Ligue nationale de hockey : Anaheim, Fort Lauderdale en Floride où évoluent les Panthers, Détroit, Washington et bien sûr Ottawa. Il voit difficilement comment une équipe de La Tuque, « une petite équipe junior », pourrait contrecarrer ses plans de carrière.

Vic Croteau est aussi une vedette locale. À sa façon, avec autorité et détermination. Son équipe est sous-estimée et cela fait son affaire. Il aime ce genre de situation où il joue le rôle de celui qui n’est pas le favori. Il connaît bien son équipe et il possède quelques cartes dans son jeu. Et puis, la chance va être de son côté. Et toute la ville de La Tuque le supporte, parfois avec des réserves! Toutefois, il a l’appui inconditionnel du maire Lucien Filion qui règnera sur la ville pendant 24 ans et le gérant municipal, Léo Archambault, le tout-puissant chef de l’administration, un fervent admirateur des Loups et de son instructeur.

Cette série est sans lendemain. Les Loups de La Tuque n’ont aucune marge de manœuvre : ils doivent gagner.

18 h 30, gonflés à bloc, les joueurs de Brian Murray font une entrée remarquée sur la patinoire, dont la dimension est supérieure à celle du Colisée de La Tuque. Appuyés par une foule qui ne manque pas de confiance, ils frôlent les joueurs des Loups le long de la ligne du centre de la patinoire, de manière à les intimider.

Il y a de l’électricité dans l’air, comme le mentionne André Poitras qui fait la description en direct de cette rencontre. Le tout La Tuque est branché sur CFLM.

Derrière son banc, Vic Croteau regarde la scène. S’il est nerveux, il ne le laisse pas paraître. Il lève le menton, un peu à la façon d’Yvon Ponton, le célèbre instructeur du National de la série Lance et Compte.

Tout va se jouer rapidement

Une véritable pièce d’anthologie se prépare. L’Officiel Mel McCoy dépose la rondelle au centre de la glace et le jeu se transporte aussitôt dans le territoire des Loups. Florent Gagnon effectue un premier arrêt, puis un deuxième sur un lancer plus précis. Shawville maintient la pression et la foule apprécie le spectacle en hurlant sa joie. À la droite de Gagnon, Maurice Plourde s’empare finalement de la rondelle. Il la glisse jusqu’à Louis Deveault, qui voit aussitôt Yvon Bouchard à découvert au centre de la patinoire.

Bouchard porte le numéro 21. Il possède des mains agiles et il effectue des feintes qui lui ont permis de marquer 46 buts en 42 parties durant la saison régulière. C’est un joueur exceptionnel, qui a le don de n’en rien laisser paraître. On dirait même qu’il est nonchalant.

Devant lui, se dresse un mur. Il se nomme Irving Campbell. Un joueur immense qui attend Bouchard de pied ferme. D’un geste de la tête, Bouchard fait mine de passer à gauche. Campbell suit le mouvement et s’étend de tout son long sur la glace lorsque Bouchard bifurque aussitôt à droite. La voie est libre. Seul devant le gardien Brian Pappin, le numéro 21 ne va pas rater une pareille occasion.

Cinquante-cinq secondes se sont écoulées depuis le début de la rencontre. Les Loups de La Tuque prennent les devants 1-0. La foule se tait et sa confiance est ébranlée tout comme celle des joueurs des Pontiacs. Ce qui fait mal, ce n’est pas tant le but, que la façon dont Bouchard s’est moqué du gros Campbell. Vic Croteau esquisse un petit sourire en direction de son vis-à-vis, Bryan Murray.

Tout s’est joué dans cette première minute. Finalement, les Loups remportent la victoire 3-1. Une victoire qui pavera la voie aux futurs champions.

Les Loups perdent 6-1 un deuxième matche tumultueux. Les durs à cuire Rémi Bernier et Jacques Sévigny s’en donnent à cœur joie dans cette cause perdue. Sévigny règle le cas de Brian Campbell lors d’une furieuse bagarre. Un point tournant dans la série. Toutefois, Florent Gagnon est blessé à un œil et ne pourra revenir au jeu pour la troisième et décisive partie.

C’est là que Vic Croteau joue gros. Il a la possibilité d’appeler en renfort un gardien de but d’une autre équipe. Il décide de miser sur Jacques Durand, le jeune auxiliaire de Gagnon. Comme à l’habitude, Croteau fait à sa tête. Certains joueurs ne sont pas d’accord, car Durand n’a pas vu beaucoup d’action durant la saison. Mais Vic Croteau en a décidé ainsi et c’est tout ce qui compte! Il gardera le suspense jusqu’à la fin.

Louis Deveault et Yvon Bouchard marquent cinq buts, dans une victoire décisive de 8-4. Les Loups éliminent les Pontiacs de Shawville. Bryan Murray se demande ce qui se passe, ainsi que ses joueurs, les favoris de cette série. Le public n’en croit pas ses yeux et quitte l’amphithéâtre en maugréant.

Vic Croteau gagne son pari. Durand joue le match de sa vie et son équipe de l’a pas déçu. Le retour vers La Tuque sera agréable.

Vers la victoire finale

Le tournoi se transporte à La Tuque. Il n’y a pas suffisamment de place à l’aréna, tant la foule se presse pour assister aux matches.

Les Loups gagnent deux fois contre les Sailors de Port Colborne qui représentent l’Ontario, et poursuivent leur quête du précieux trophée.

Devant eux se dressent maintenant St-John, les gagnants des Maritimes. Les Loups les dévorent en deux parties : 10-5 et 10-3.

Il reste encore une étape : battre les champions de l’Ouest canadien, les Border Kings de Lloydminster, Alberta.

Pour jouer la série à la Tuque, l’équipe doit déposer une garantie de 6 000$. Nous sommes en 1969 et cela représente beaucoup d’argent. Les joueurs, qui n’exercent pas le métier de hockeyeurs à plein temps, ne peuvent se permettre de s’absenter pour une période aussi longue. La série est compromise, si près du but.

Omer Veillette est le président de l’équipe et surtout, le principal commanditaire. C’est un petit homme trapu, de peu de mots. Mais il a le cœur sur la main. Il avance la somme de 6 000 $.

Les Loups doivent remporter trois parties sur un total de cinq. Ils ne font pas de quartier, marquant 23 buts contre 11, pour l’emporter en trois rencontres consécutives. À la soixantième minute de jeu du dernier match, c’est l’euphorie. La Tuque accueille ses héros dans un véritable délire. André Poitras qui décrit la partie à la radio en perd ses mots. Les joueurs entourent leur gardien et se lancent pêle-mêle au centre de la patinoire. Certains pleurent de joie; d’autres arrivent à peine à croire ce qui leur arrive. La foule ne cesse de les acclamer.

Vic Croteau esquisse un sourire : celui de la victoire finale.