Une nouvelle étude servira à contester l’entente Hydro-Énergir devant la Régie

MONTRÉAL — Une nouvelle étude vient sérieusement remettre en question le bien-fondé de l’entente entre Hydro-Québec et Énergir en vue d’utiliser le gaz naturel pour réduire la demande d’électricité durant les pointes de l’hiver.

Réalisée par une équipe de l’organisme Écohabitation, cette étude démontre que l’approche privilégiée par Hydro coûtera plus cher à tous les clients qui adhéreront à son programme biénergie électricité-gaz que s’ils utilisaient seulement le chauffage électrique avec la technologie des accumulateurs de chaleur, en plus de ralentir la décarbonation avec une utilisation injustifiée du gaz naturel.

L’objectif de l’entente est de convertir à la biénergie des systèmes de chauffage uniquement au gaz. En vertu de celle-ci, Hydro devra indemniser Énergir pour ses pertes de revenus, refiler la facture à ses clients, en retour de quoi la demande en électricité sera réduite en période de pointe par l’utilisation du gaz plutôt que de l’électricité.

La biénergie gaz-électricité plus chère

Cette entente, approuvée avec une rare dissidence par la Régie de l’énergie, sera contestée à compter de ce mercredi non seulement par plusieurs groupes environnementaux, mais aussi par l’Association québécoise des consommateurs industriels d’énergie et le Conseil de l’industrie forestière du Québec.

Les conclusions d’Ian Sabourin, un des auteurs de l’étude, laissent peu de place à l’interprétation: «Le constat principal c’est que l’utilisation d’un système de chauffage électrique avec gestion de pointe c’est jusqu’à 32 % moins cher que la biénergie au gaz naturel et jusqu’à la moitié moins cher qu’un système au gaz naturel.»

Le système de chauffage électrique auquel il fait référence est celui combinant une thermopompe de nouvelle génération — qui peut chauffer un bâtiment à des températures beaucoup plus froides que la thermopompe conventionnelle — et un accumulateur de chaleur. Ce dernier appareil, comme son nom l’indique, accumule la chaleur produite par la thermopompe ou tout autre appareil chauffant dans des briques. En période de pointe, c’est cette chaleur accumulée dans les briques qui sert à chauffer l’habitation sans mettre de demande sur le réseau électrique.

«L’accumulation de chaleur, c’est une façon de ne pas avoir à construire de barrage et de pouvoir satisfaire les besoins en puissance avec une énergie même intermittente», fait valoir Jean-Pierre Finet, analyste au Regroupement des organismes environnementaux en énergie (ROEÉ).

L’étude, intitulée «Analyse de la position concurrentielle de différents systèmes de chauffage au Québec» souligne d’ailleurs que les résultats d’études sur les accumulateurs de chaleur réalisées par Hydro-Québec elle-même sont concluants: «Il est possible, grâce aux accumulateurs thermiques, de déplacer suffisamment la pointe électrique de façon 100 % renouvelable pour éliminer l’utilisation du gaz dans le secteur résidentiel.»

Pourtant, l’objectif de l’entente actuelle — qui ne touche que le secteur résidentiel pour l’instant, mais qu’Hydro et Énergir souhaitent éventuellement étendre aux secteurs institutionnel et commercial — vise à convertir 96 % des quelque 142 000 bâtiments résidentiels présentement chauffés au gaz naturel à la biénergie gaz/électricité.

Verrouillé dans le carbone

Le problème avec cette approche, selon ses opposants, c’est qu’elle impose l’utilisation du gaz naturel, une énergie fossile qui ajoute aux émissions de gaz à effet de serre, souligne Emmanuel Patola, du comité environnement du Syndicat canadien de la fonction publique (SCFP), syndicat qui représente l’écrasante majorité des employés de la société d’État.

«Ça fait 20, 30 ans qu’on parle d’une transition énergétique, d’une transition plus favorable à l’environnement et là, on ne transitionne pas. On s’enferme dans un verrouillage énergétique. On est obligés de rester au gaz jusqu’en 2050. Ce bout-là est incompréhensible. Si le gaz était une énergie de transition, la transition aurait dû être faite depuis longtemps», estime M. Patola.

Pour Jean-Pierre Finet, cette idée de compenser les pertes d’Énergir avec l’argent des abonnés d’Hydro, d’utiliser une énergie fossile en soutien à l’électricité plutôt que des accumulateurs de chaleur et de le faire, comme le démontre l’étude, à un coût plus élevé, n’a aucun sens: «Il y a une technologie meilleure qui permet de décarboner complètement et ce qu’on démontre, c’est que ça peut se faire non seulement de façon technique, mais en plus à moindre coût que la solution carbonée. Ce serait un non-sens de continuer dans la même direction», laisse-t-il tomber.

Sauver Énergir?

Depuis l’annonce de l’entente, Hydro-Québec maintient qu’elle représente la meilleure façon de passer à travers la pointe hivernale et que c’est la façon la plus économique de le faire.

Mais puisque l’étude d’Écohabitation démontre qu’il est possible d’atteindre les trois objectifs que sont cesser d’utiliser une énergie fossile, réduire la consommation durant les heures de pointe et réaliser le tout à meilleur prix, pourquoi Hydro-Québec favorise-t-elle cette solution?

«La seule raison, c’est d’assurer la survie d’Énergir, qui est propriété de la Caisse de dépôt», affirme sans hésiter Emmanuel Patola.

Jean-Pierre Finet abonde dans le même sens: «C’est plus un programme de sauvetage de la valeur des actifs d’Énergir, qu’un programme de décarbonation sérieux. Ce qu’ils veulent éviter absolument, c’est la spirale de la mort pour Énergir.»

Une autre voie

Selon lui, les milliards qu’Hydro s’apprête à engloutir dans cette entente doivent plutôt être réorientés pour subventionner l’installation de thermopompes chez tous les clients qui ont un système de chauffage au gaz puis de remplacer ce système par un accumulateur de chaleur lorsqu’il arrivera en fin de vie.

De plus, il demande à Québec non seulement de retirer son soutien à la biénergie gaz-électricité, mais même d’adopter une réglementation pour les appareils de chauffage au gaz naturel similaire à celle qui prévaut pour le chauffage au mazout, c’est-à-dire en interdire l’installation et, à terme, la réparation.

Aussi, il croit qu’il faudrait subventionner l’accumulation de chaleur dans toutes les nouvelles constructions «parce qu’à tous les jours, il se construit des maisons avec des plinthes électriques qui viennent ajouter des besoins en puissance qu’on pourrait éviter», ce genre de chauffage ne permettant pas d’accumuler de la chaleur comme un système central qui peut ensuite la distribuer dans toute la maison.