Une nouvelle étude lie directement la violence conjugale aux mesures de confinement

MONTRÉAL — On se doutait bien que la vague de féminicides qui a frappé le Québec en 2021 était liée d’une manière ou d’une autre à la pandémie de COVID-19, mais voilà qu’une étude de l’Université de Sherbrooke vient confirmer que les épisodes de confinement imposés pour protéger la population du virus ont fait exploser les cas de violence conjugale.

Selon les données compilées par la recherche de trois étudiantes de médecine – Ariane Pelletier, Alycia Therrien et Marie-Aude Picard-Turcot – sous la supervision de la Dre Mélissa Généreux, plus d’une femme en couple sur six (17,6 %) subissait une forme de violence conjugale au Québec en octobre 2021. De plus, 3,2 % des femmes déclaraient vivre de la violence physique à ce moment.

Si l’on pouvait clairement observer une hausse des signalements de cas graves, menant à des interventions policières, des prises en charge par les ressources d’aide ou tragiquement à des meurtres, «ce qu’on ne savait pas c’est à quel point derrière chaque féminicide, il y a un nombre de femmes élevé qui vit dans un climat malsain», souligne la Dre Généreux.

«On ne savait pas l’ampleur de la violence conjugale un peu plus invisible, qui ne se répercute pas par des demandes d’aide», ajoute-t-elle.

Ces chiffres ont été obtenus à partir de questionnaires en ligne transmis à plus de 3500 femmes en couple à quatre moments clés de la pandémie, entre novembre 2020 et octobre 2021.

À titre comparatif, des données tirées de l’Enquête sociale générale (ESG) de 2019 indiquaient qu’au Canada «1,5 % des femmes déclaraient avoir vécu de la violence conjugale sous forme physique ou sexuelle» au cours de l’année précédente.

Toujours selon les informations compilées par les trois étudiantes stagiaires en santé communautaire, c’est la région de Montréal qui serait la plus affectée. On rapporte que 22,5 % des femmes en couple présentaient un indice de violence conjugale en octobre 2021.

Le lien direct tracé entre la violence conjugale et les mesures de confinement s’explique par le fait que les comportements violents envers les femmes auraient atteint un sommet en février et octobre 2021, lors de vagues intenses de propagation du virus où des restrictions sévères étaient imposées.

À l’inverse, les taux étaient à leur plus bas en juin de la même année alors que le Québec profitait d’un relâchement estival accompagné d’un déconfinement.

Cette violence ne s’est cependant pas manifestée spontanément avec l’arrivée de la pandémie. La crise sanitaire l’a toutefois exacerbée et a du même coup réduit l’accès aux ressources d’aide communautaires et au réseau social qui permet d’ériger un filet de sécurité.

Dre Mélissa Généreux espère qu’en rendant publiques ces nouvelles données, la population ouvre davantage les yeux et tende un peu plus l’oreille à la recherche de signaux pouvant évoquer un risque de violence conjugale et prévenir les dérapages.

Les résultats obtenus par les chercheuses permettent de conclure que derrière chaque féminicide recensé au Québec en 2021 se cachent «près de 3000 femmes victimes de sévices dans un contexte conjugal» et «plus de 16 000 femmes victimes» d’une forme ou d’une autre de violence conjugale incluant les abus verbaux ou psychologiques.

«Si par exemple, votre conjoint ou votre conjointe hurle de façon récurrente ou vous parle avec mépris, ça a un nom. Ça s’appelle de la violence verbale ou de la violence psychologique et ce n’est pas plus acceptable que la violence physique», insiste la professeure au département des sciences de la santé communautaire.

À la suite de ces constats, les chercheuses de l’UdeS entendent proposer de nouvelles solutions pour continuer de lutter contre la violence conjugale. Un rapport détaillé de leurs résultats contenant des pistes de solution doit être dévoilé en juin.

Un enjeu de santé publique

Par ailleurs, la Dre Mélissa Généreux qui se spécialise en santé publique, estime que la violence conjugale constitue un grave problème de santé publique et doit être traitée comme tel.

En effectuant ses recherches, elle s’est butée à un vide de connaissance sur l’ampleur du phénomène au sein de notre société. À l’exception des minces données glanées dans l’ESG, une enquête canadienne, il n’existait pratiquement rien permettant de mesurer la prévalence de la violence conjugale au Québec de manière soutenue.

«Il me semble que ça lance un message assez clair qu’on gagnerait à mieux comprendre comment la violence à plus bas bruit se manifeste dans les ménages, estime la professeure de l’Université de Sherbrooke. On ne peut pas juste se dire qu’une femme sur six vit avec un indice de violence conjugale et arrêter là, on doit poursuivre.»

Elle rappelle que Loi sur la santé publique exige qu’une problématique identifiée comme un enjeu en la matière doit être documentée, puis faire l’objet d’un plan d’action en promotion, en prévention et en protection.

«Je me permets de le nommer comme enjeu de santé publique parce que premièrement il y a des risques à la sécurité, au bien-être et à la qualité de vie», insiste-t-elle.

La Dre Généreux ajoute également que cette violence entraîne de nombreuses victimes collatérales, à commencer par les enfants d’un ménage. Puis, les chiffres montrent qu’une femme qui présente un indice de violence conjugale a deux fois plus de risques de souffrir d’anxiété ou de dépression et trois fois plus de risques d’entretenir des idées suicidaires.

Et alors que la pandémie semble tranquillement céder le pas à un retour vers la normale, l’experte s’inquiète pour de milliers de femmes prisonnières d’un ménage pour des raisons maintenant économiques.

«On pourrait se dire « c’est lié au confinement, tout va rentrer dans l’ordre », mais non! Une relation qui s’est détériorée ne va pas s’améliorer tout d’un coup. En plus, avec la hausse du coût de la vie et la crise du logement, de très nombreuses femmes se trouvent coincées et incapables d’échapper à un conjoint violent par leur incapacité à trouver un logement abordable», décrit-elle avec appréhension.