Toujours pas de lettres de mandat pour les ministres fédéraux, après le remaniement

OTTAWA — Le premier ministre Justin Trudeau n’a toujours pas livré de lettres de mandat à ses ministres, deux mois après avoir annoncé un remaniement de son cabinet.

«Si vous ne le faites pas, le succès de votre gouvernement sera probablement compromis», a déclaré le sénateur Tony Dean, qui a supervisé la fonction publique de l’Ontario.

«Il est important que tout le monde soit sur la même longueur d’onde et comprenne quels sont les résultats escomptés.»

Peu après son entrée en fonction en 2015, le gouvernement Trudeau a annoncé qu’il publierait les listes de tâches confiées à chaque ministre, connues sous le nom de lettres de mandat.

Ces documents définissent les priorités de chaque ministre fédéral et indiquent aux fonctionnaires le calendrier ou la portée des politiques que le gouvernement souhaite mettre en œuvre.

La dernière série de lettres de mandat a été publiée en décembre 2021, trois mois après les dernières élections fédérales. Cet été, M. Trudeau a remanié la plupart des membres de son cabinet, confiant à 30 ministres des rôles actualisés ou de toutes nouvelles fonctions qui n’existaient pas auparavant. 

Le ministre de la Défense, Bill Blair, a affirmé la semaine dernière qu’il n’avait pas reçu de nouvelle lettre de mandat depuis son entrée en fonction le 26 juillet. Il a dit agir sur la base de la liste d’engagements que M. Trudeau avait confiés à son prédécesseur. 

Le mois dernier, La Presse Canadienne a demandé au ministre du Développement international, Ahmed Hussen, ce que contenait sa lettre de mandat pour son nouveau rôle. M. Hussen a énuméré des priorités, mais son bureau n’a pas précisé s’il avait effectivement reçu une lettre de mandat.

Dans une entrevue accordée la semaine dernière, la ministre des Services aux Autochtones, Patty Hajdu, a affirmé qu’elle ne s’attendait pas à recevoir une lettre de mandat actualisée, car elle occupe la même fonction depuis la fin de 2021.

«C’est à la prérogative du premier ministre que les lettres de mandat changent ou sont modifiées, a-t-elle déclaré. Elles sont généralement remises au moment de la nomination au début d’un mandat particulier; ma lettre de mandat n’a pas changé depuis deux ans.»

Clarifier les priorités

Selon Alex Marland, politologue à l’Université d’Acadia, en Nouvelle-Écosse, les lettres de mandat permettent de clarifier ce qu’un gouvernement veut faire en dehors d’une période électorale, à la fois pour le public et pour le personnel du ministère.

«En l’absence de lettres de mandat, il est probablement plus difficile pour le gouvernement de faire avancer ses programmes», avance-t-il. 

Les lettres de mandat peuvent aider à clarifier les priorités introduites par le gouvernement et à déterminer si le gouvernement considère les engagements énumérés dans les lettres précédentes comme étant en cours, accomplis ou abandonnés.

Dans le cas de M. Blair, le gouvernement Trudeau a confié de nouvelles tâches à l’armée au cours des derniers mois, tout en lui demandant de réduire ses dépenses d’environ un milliard de dollars.

«Plus on s’éloigne des élections, plus il se passe de choses. Et lorsque les choses changent, en tant que ministre, quelle est la marche à suivre?», mentionne M. Marland.

Des points sur «un bout de papier»

Lui et le sénateur Dean se sont tous deux dits perplexes quant au fait que le ministre des Services aux citoyens, Terry Beech, n’a aucune liste publique de ses responsabilités, étant donné qu’il s’agit d’une nouvelle fonction qui englobe plusieurs ministères.

Lors de sa prestation de serment le 26 juillet, M. Beech a déclaré que son travail ne se limiterait pas aux tâches relevant d’Emploi et Développement social Canada, ajoutant que le haut fonctionnaire de ce ministère lui avait remis «un bout de papier avec toute une série de points».

Selon M. Dean, les lettres de mandat permettent de définir les priorités et d’identifier les personnes responsables des résultats.

«Aujourd’hui, compte tenu de la complexité des initiatives politiques et de l’élaboration des politiques, très peu de choses restent dans les limites d’un ministère ou d’un département», expose-t-il.

«Elles sont extrêmement importantes, fait-il valoir à propos des lettres de mandat. Je les considère comme un élément essentiel de l’élaboration et de la mise en œuvre des politiques au sein du gouvernement.»

Selon M. Dean, les dossiers plus complexes ne devraient pas être traités à la hâte, tandis que les ministres qui poursuivent leurs fonctions pourraient obtenir une liste de priorités actualisée beaucoup plus rapidement.

À l’image du gouvernement

En entrevue, le leader parlementaire du Bloc Québécois a déclaré qu’il était «très inquiétant» que le gouvernement semble trop fatigué pour présenter un plan de lutte contre l’inflation et les problèmes de logement.

Avec le remaniement, «on se serait attendu que rapidement les ministres aient sur papier ce qu’ils devaient faire», a commenté Alain Therrien. 

«C’est une façon de montrer qu’ils ont de la vision et que ces ministres-là ont un rôle à jouer, ils ont un boulot à faire. Et ce n’est pas ce qu’on voit présentement, a-t-il dit. 

«Ce n’est pas un gouvernement en action. C’est un gouvernement en réaction, et en plus ces réactions sont extrêmement lentes.»

Lorsqu’on leur a demandé de commenter les lettres de mandat, les conservateurs ont plutôt déploré la hausse de la criminalité et l’inflation élevée. Le porte-parole Sebastian Skamski a écrit que M. Trudeau «ignore les problèmes qu’il a lui-même créés».

Le NPD soutient que le gouvernement a été lent à réagir à l’augmentation du coût de la vie et qu’il a adopté la même approche en ce qui concerne la feuille de route.

«Il n’est pas surprenant qu’ils retardent l’émission des lettres de mandat des ministres puisque tout leur mode de fonctionnement semble être basé sur des actions retardées», a déclaré Peter Julian, leader parlementaire du NPD, dans une déclaration écrite.

«Les libéraux semblent n’avoir plus d’essence dans le réservoir», a-t-il ajouté. 

M. Marland souligne que des ministres eux-mêmes ont déclaré qu’ils étaient impatients de recevoir leur ordre de marche. Il estime que le cabinet du premier ministre doit être encore à trier les priorités au lieu de laisser aux ministres le soin de définir ce qui ferait le succès de leur mandat.

Il se demande pourquoi M. Trudeau n’avait pas envoyé de lettres à la fin du mois de juillet, étant donné qu’il a le contrôle total du moment où son cabinet est remanié.

«La réalité est qu’ils ont manifestement décidé que l’élaboration des lettres de mandat n’était pas une priorité urgente. D’un autre côté, le gouvernement Trudeau n’a jamais été très rapide sur beaucoup de choses», dit-il, soutenant que cela provenait à la fois d’un goulot d’étranglement et d’une attention sur la stratégie de communication.

Interrogé sur le calendrier des nouvelles lettres de mandat, le bureau du premier ministre a noté que les lettres de mandat existantes de décembre 2021 restaient en ligne.

«Nous n’avons rien de nouveau à confirmer pour le moment, mais nous vous tiendrons au courant si nécessaire», a déclaré la porte-parole Alison Murphy dans un courriel.