Les infractions commises en zone agricole pas sanctionnées, selon un rapport

QUÉBEC — Alors que la pérennité du territoire agricole est à risque, des contrevenants continuent d’enfouir des déchets, de remblayer avec du matériel contaminé ou de couper des érables en toute impunité.

La commissaire au développement durable, Janique Lambert, a présenté jeudi son rapport annuel qui porte essentiellement sur les pratiques agricoles et la protection du territoire.

Elle dit constater que la Commission de protection du territoire agricole du Québec (CPTAQ) fait une surveillance «insuffisante, non efficace» de la zone agricole — cette surveillance est basée presque exclusivement sur les dénonciations qu’elle reçoit. 

Ainsi, elle «ne permet pas à la CPTAQ de relever les infractions qui ne lui sont pas signalées». Elle est également «tributaire de la capacité des citoyens et des municipalités de détecter les infractions», souligne Mme Lambert dans son rapport.

Pourtant, certaines infractions entraînent des conséquences «désastreuses» pour les terres agricoles, prévient la commissaire, citant des exemples récents.

«À Mirabel, des milliers de tonnes de déchets ont été enfouis sous des terres agricoles, tandis qu’une ancienne sablière à Sainte-Marie-Salomé a été remblayée de manière illégale avec du matériel potentiellement contaminé», illustre-t-elle.

De plus, «les dénonciations permettent rarement de limiter les dommages au territoire agricole puisqu’elles concernent des infractions qui ont eu lieu, parfois depuis longtemps, et qui ont pu porter atteinte à la ressource». 

Par exemple: une coupe de 1,5 hectare avait déjà été effectuée dans une érablière au moment de la réception de la dénonciation. Il faut en moyenne 40 ans pour qu’un érable à sucre permette la production de sirop d’érable, note la commissaire.

Les ordonnances émises par la CPTAQ sont «peu dissuasives puisqu’elles ne sont accompagnées d’aucun moyen coercitif»; seul un jugement d’outrage au tribunal rendu par la Cour supérieure au terme d’un processus peut donner lieu à d’éventuelles sanctions. 

Or, entre le 1er avril 2018 et le 31 mars 2023, la CPTAQ n’a transmis aucun dossier au procureur général, et conséquemment n’a pas eu recours au mécanisme de sanction pénale prévu à la loi. 

Pourtant, au cours de cette période, elle avait constaté 116 infractions concernant l’enlèvement de sol arable ou la coupe d’érables. 

«Celles-ci auraient potentiellement pu faire l’objet d’amendes. Il est désolant de constater que cette situation est similaire à celle constatée par le Vérificateur général en 1994», affirme la commissaire.

Par ailleurs, Mme Lambert déplore dans son rapport les délais de traitement des dénonciations: environ 21 % des dénonciations reçues depuis plus de cinq ans sont toujours en cours. Près de 90 dossiers d’enquête sont en cours depuis plus de dix ans.

Selon elle, «de tels délais de traitement affaiblissent la crédibilité de la CPTAQ dans son rôle de surveillance».

«Alors qu’elle en a le pouvoir, la CPTAQ n’a pas recommandé au ministre d’améliorations permettant de rendre plus efficace sa surveillance de la zone agricole, par exemple des modifications aux mécanismes de sanction», remarque-t-elle.

Terres agricoles à risque

C’est que le territoire agricole est une ressource limitée et non renouvelable essentielle à l’autonomie alimentaire des populations, rappelle la commissaire. Des enjeux, comme la perte de superficies cultivées, menacent sa pérennité.

Or, bien que le ministère de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation du Québec (MAPAQ) connaisse ces enjeux depuis «plusieurs années», ses interventions pour assurer la protection du territoire demeurent «insuffisantes». 

Des résidences, des infrastructures routières et énergétiques, des zones commerciales et industrielles occupent de plus en plus le territoire agricole du Québec, si bien que seulement le tiers des terres sont en culture à l’heure actuelle.

Cette situation a entraîné une augmentation faramineuse de la valeur des terrains (+84 % de 2012 à 2022).

«Ce que la commissaire souligne est tout à fait aligné avec les échos qu’on a du terrain depuis de nombreuses années», a réagi par communiqué Carole-Anne Lapierre, analyste en agriculture et systèmes alimentaires et agronome chez Équiterre.

«Notre territoire agricole s’effrite et notre autonomie alimentaire est menacée. Le gouvernement a tout en main pour donner le coup de barre qu’il nous faut pour changer les choses», a-t-elle ajouté. 

La commissaire affirme également dans un autre chapitre s’inquiéter de la détérioration de la qualité des sols, qui risquent d’être moins résilients face aux changements climatiques. 

Elle pointe notamment le «travail intensif du sol», «l’insuffisance des rotations» et le «poids important de la machinerie», et demande au MAPAQ de mieux accompagner les agriculteurs afin qu’ils adoptent des pratiques agricoles durables.

Lacunes dans la gestion du «Fonds vert»

Par ailleurs, Mme Lambert prie le ministère de l’Environnement de «poursuivre ses efforts» afin d’améliorer sa gestion du Fonds d’électrification et de changements climatiques (FECC), communément appelé Fonds vert.

Elle note que des sommes «considérables» sont recueillies dans le FECC pour financer des actions visant la lutte contre les changements climatiques. Toutefois, le ministère n’évalue pas la performance de réduction des gaz à effet de serre (GES) pour 40 % des projets.

Le ministère de l’Environnement s’était engagé à avoir des indicateurs pour 90 % de ses projets dès septembre 2023. Or, à ce jour, seulement 60 % des projets ont un indicateur de réduction des GES.

«Pour près de 3 milliards $, il manque encore des indicateurs d’effets et des cibles pour être en mesure de dire: (…) « Est-ce que ça a donné les effets escomptés »», a souligné en conférence de presse Janique Lambert.

«Ce sont des fonds publics, d’où la nécessité de s’assurer que chaque action choisie, (…) va permettre d’avoir les meilleurs résultats, parce qu’ultimement, c’est pour atteindre la réduction des GES de 37,5 % pour 2030», a-t-elle ajouté.