Les artistes et musiciens autochtones réclament un quota au CRTC

MONTRÉAL — Afin de partager leur culture et aussi dans l’optique de la faire survivre, des artistes et musiciens des Premières Nations réclament un quota de 5% de musique en langue autochtone sur les ondes des radios commerciales canadiennes. Un mémoire a été déposé en ce sens au Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes (CRTC).

Pour appuyer cette revendication, la maison de disques Makusham Musique a réalisé un mémoire documentant l’infime espace de la musique de langue autochtone sur les ondes canadiennes. Considérées ironiquement comme des langues étrangères, les chansons en langues autochtones ne représentent que quelques points de pourcentage des pistes jouées en ondes.

Mettre fin à un boycottage de trois décennies

«Bien que l’industrie musicale autochtone soit en plein essor au Canada, la présence de nos artistes dans les radios commerciales reste plus que marginale», a déploré Mathieu McKenzie, directeur des relations publiques et copropriétaire de la maison de disques. 

Lui-même musicien, il a déploré le retour plus que timide des stations à qui il a fait parvenir des pistes de son album à paraître plus tard cette semaine. Il a aussi affirmé que plusieurs artistes autochtones canadiens se tournent vers l’anglais dans l’espoir d’être entendus à la radio.

Son père, l’auteur-compositeur-interprète Florent Vollant, a rappelé que sa formation Kashtin était au sommet de sa gloire au début des années 1990, quand est survenue la Crise d’Oka. Depuis, les chansons en langue autochtone ont été boycottées et n’ont jamais fait de retour substantiel en ondes, se désole-t-il.

Le mémoire présenté dans le cadre d’un point de presse tenu mardi matin démontre que selon un sondage non scientifique réalisé en ligne l’été dernier, 98% des 312 répondants étaient en faveur d’une plus grande place laissée à la musique autochtone sur les ondes de la radio commerciale; plus de 94% étaient en faveur de l’imposition d’un quota par le CRTC.

«La musique autochtone a sa place dans l’univers hermétique des radios commerciales, a fait valoir le chef d’Innu Takuaikan Uashat mak Mani-Utenam, Mike Mckenzie. Elle n’est pas une menace pour la musique francophone, et encore moins pour la musique anglophone. Le temps est venu de reconnaître son importance et lui laisser prendre la place qui lui revient avec raison.»

Faire survivre des langues

En plus de contribuer à faire connaître la musique autochtone à tous les Canadiens, l’imposition d’un quota sur les ondes radiophoniques commerciales aiderait également à assurer la survie des langues parlées par les membres des Premières Nations.

«Vous ne nous connaissez pas; vous ne savez pas ce qu’on chante, sur quelle musique on danse, a souligné M. Vollant. Les Premières Nations, nous sommes des peuples de partage, et on veut vous faire connaître notre musique. Ce serait tout à fait dommage qu’on finisse par ne plus la connaître.»

Invité à titre d’allié, l’auteur-compositeur-interprète Émile Bilodeau y est allé d’un plaidoyer bien senti sur la nécessité de laisser une place aux artistes autochtones.

«Nous autres, au Québec, on se fait dire qu’on a été colonisés et qu’on doit défendre notre langue, a-t-il clamé, en larmes et sous le coup d’une vive émotion. […] Il y a 11 langues sur le territoire du Québec qui sont sur le respirateur artificiel, et il y a quand même des gens qui pensent qu’en donnant un peu de place à nos frères autochtones, on n’arrivera pas à sauver le français!»

En toute fin de la conférence de presse, l’artiste multidisciplinaire innue Natasha Kanapé Fontaine a parlé de l’importance de maintenir vivantes les langues autochtones. Ayant été élevée en ville, elle dit investir de grands efforts pour se réapproprier sa langue maternelle, qu’elle a graduellement perdue, et pour la proposer sur différentes tribunes artistiques.

Au CRTC, on confirme la réception du Mémoire sur le contenu musical autochtone. Or, «pour être considéré par le CRTC, ce mémoire doit nous être présenté dans le cadre d’un processus de consultation», a indiqué par courriel Patricia Valladao, gestionnaire des relations avec les médias au Conseil.

L’enjeu pourrait être abordé dans le cadre des consultations du projet de loi C-11, si celui-ci reçoit la sanction royale, de même que dans le cadre de l’élaboration d’une politique de radiodiffusion autochtone, a ajouté Mme Valladao.

———

Cette dépêche a été rédigée avec l’aide financière de la Bourse de Meta et de La Presse Canadienne pour les nouvelles.