Exemptions aux travailleurs humanitaires: des sénateurs redoutent la bureaucratie

OTTAWA — Des sénateurs craignent qu’un projet de loi libéral retardé depuis longtemps qui vise à débloquer l’aide canadienne en Afghanistan n’enlise les groupes de développement dans la paperasserie et ne bloque l’accès à l’aide en raison d’une bureaucratie préjudiciable.

«Nous avons fait preuve de créativité dans les limites de la loi», a assuré le ministre de la Sécurité publique, Marco Mendicino, au comité sénatorial des droits de la personne lundi soir.

Il s’exprimait quelques heures après l’adoption par la Chambre des communes du projet de loi C-41, qui intervient plus d’un an après que de nombreux alliés du Canada ont accordé des exemptions aux travailleurs humanitaires dans leurs lois antiterroristes.

Le Code criminel interdit actuellement aux travailleurs humanitaires canadiens de payer des taxes sur le travail ou les marchandises en Afghanistan, car ils pourraient être poursuivis pour avoir soutenu financièrement les talibans au pouvoir, qu’Ottawa désigne comme un groupe terroriste.

Le projet de loi C-41 permettrait aux travailleurs du développement, tels que ceux qui construisent des écoles, de demander des exemptions pour effectuer leur travail. Suite aux amendements des conservateurs et des néo-démocrates, il prévoit également une exemption générale pour les travailleurs.

«Comment définir l’impartialité?»

Cependant, des sénateurs ont fait part au ministre Mendicino de leurs inquiétudes quant à la manière dont le projet de loi sera réellement appliqué, notamment en ce qui concerne la manière dont les bureaucrates évalueront les demandes de dérogation. 

La sénatrice Mobina Jaffer a mentionné que les Canadiens d’origine afghane craignaient particulièrement d’être soumis à un examen plus approfondi lorsqu’ils demanderaient à être exemptés des lois sur le terrorisme.

«Comment définir l’impartialité? Parce que ce n’est pas l’expérience de la communauté quant à la façon dont les différents ministères ont défini l’impartialité», a indiqué la sénatrice indépendante de la Colombie-Britannique à M. Mendicino.

«Vous savez que c’est subjectif, et la communauté est nerveuse», a-t-elle ajouté. 

M. Mendicino a insisté sur le fait que les fonctionnaires sont impartiaux et a noté que les tribunaux peuvent réexaminer toute demande rejetée.

La sénatrice conservatrice de l’Ontario Salma Ataullahjan a exhorté le gouvernement à agir rapidement, notant que d’autres pays ont adopté des exemptions dans les mois qui ont suivi la prise de contrôle de Kaboul par les talibans en août 2021.

Mme Ataullahjan est née au Pakistan et, comme de nombreux Afghans, elle est d’origine pachtoune. Elle rappelle que l’UNICEF a indiqué en avril qu’environ 167 enfants meurent chaque jour en Afghanistan à cause de maladies qui auraient pu être évitées.

«Il s’agit de mon peuple, donc cela m’affecte bien sûr», a-t-elle déclaré.

Mme Ataullahjan a également demandé à M. Mendicino comment la législation permettrait de vérifier si les avantages de l’autorisation d’une activité l’emportent sur les risques de financement du terrorisme. 

Le ministre a affirmé qu’il s’engageait à mettre en place un processus non discriminatoire, mais il a ajouté qu’il n’était pas encore tout à fait au point.

«L’élaboration de principes objectifs sera un exercice urgent dans le cadre de la mise en œuvre du projet de loi», a évoqué M. Mendicino.

Inquiétudes entourant les délais

Certains sénateurs ont pressé le ministre de donner un échéancier approximatif du temps nécessaire au traitement des demandes, après que les groupes d’aide aient demandé une norme de service au gouvernement, tout en reconnaissant que ces délais pourraient varier en fonction de l’ampleur du travail.

«Nous allons faire tout ce qui est en notre pouvoir pour mettre en place un processus efficace», a assuré M. Mendicino.

Les sénateurs ont toutefois noté que les deux ministères qui traitent les demandes — Affaires mondiales Canada et Immigration, et Réfugiés et Citoyenneté Canada (IRCC) — ont été frappés par des délais d’attente plus longs que les autres ministères.

«Il est très difficile, dans le cadre d’une hypothèse, de dire combien de temps cela prendra», a reconnu Selena Beattie, directrice politique de l’IRCC, aux sénateurs, mais elle a ajouté que l’administration donnerait la priorité aux demandes urgentes.

«Nous serions prêts à faire cette évaluation assez rapidement. Nous nous préparons et nous faisons de grands progrès», a-t-elle dit. 

La Chambre a adopté le projet de loi C-41 lundi après-midi avec le soutien de tous les partis, à l’exception du Nouveau Parti démocratique (NPD), qui estime qu’il viole l’indépendance des travailleurs humanitaires s’ils doivent demander l’autorisation du gouvernement pour effectuer leur travail à l’étranger.

«Le principe de l’autorisation par un tiers, qui oblige les organismes d’aide canadiens à demander la permission du gouvernement du Canada pour effectuer leur important travail dans des contextes fragiles à l’étranger, est sans précédent et inacceptable», a écrit Heather McPherson, porte-parole du NPD en matière d’affaires étrangères, dans un communiqué.

Au cours des audiences de lundi, Adeena Niazi, directrice exécutive de l’Organisation des femmes afghanes pour les services aux réfugiés et aux immigrants, a pressé Ottawa à agir rapidement. 

Elle a déclaré que son organisation avait dû refuser des dons de Canadiens destinés à aider un pays où les enfants sont ravagés par la malnutrition, la maladie et le travail forcé.

«Il a été extrêmement difficile de voir le peuple afghan puni par ces lois», a-t-elle témoigné. 

Les sénateurs vont délibérer sur la possibilité d’amender le projet de loi, bien que les groupes d’aide aient demandé lundi qu’ils l’adoptent dans sa forme actuelle au lieu de courir le risque de le mettre en suspens lorsque les travaux au parlement seront ajournés pour l’été.