Des changements immédiats nécessaires pour éviter le pire des changements climatiques

BERLIN — L’humanité a encore une chance d’éviter les pires dommages du changement climatique, a estimé lundi un important groupe de scientifiques des Nations unies. Cependant, il pourrait bien s’agir de sa dernière chance.

Pour y arriver, il faudra notamment réduire rapidement la pollution par le carbone, ainsi que l’utilisation des combustibles fossiles de près des deux tiers d’ici 2035, a noté le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) dans un nouveau rapport.

De son côté, le secrétaire général de l’Organisation des Nations unies (ONU), Antonio Guterres, n’est pas passé par quatre chemins: il a appelé à la fin de toute nouvelle exploration des combustibles fossiles et à l’abandon du charbon, du pétrole et du gaz par les pays riches d’ici 2040.

«L’humanité marche sur une couche de glace très fine, et cette glace fond rapidement», a prévenu M. Guterres.

«Notre monde a besoin d’une action climatique sur tous les fronts — tout, partout, tout à la fois», a-t-il ajouté en faisant référence au film de Daniel Kwan et Daniel Scheinert, sorti grand gagnant de la dernière cérémonie des Oscars.

Intensifiant ses appels à l’action sur les combustibles fossiles, M. Guterres a non seulement appelé à cesser de créer de nouveaux projets au charbon dès maintenant, mais aussi à éliminer son utilisation dans les pays riches d’ici 2030 et les pays pauvres d’ici 2040.

Il aimerait voir uniquement de la production d’électricité verte dans les pays développés d’ici 2035, ce qui signifie également de mettre fin au recours aux centrales électriques au gaz.

Ces cibles sont essentielles, selon lui, puisque les pays devront bientôt se fixer des objectifs de réduction de la pollution d’ici 2035, en vertu de l’accord de Paris sur le climat.

Les ministres Guilbeault et Charette réagissent

Le ministre de l’Environnement du Canada, Steven Guilbeault, a brièvement réagi lundi matin au sixième rapport d’évaluation du GIEC.

Interrogé sur la demande du secrétaire général des Nations unies de cesser l’exploration de combustibles fossiles, le ministre n’a pas directement répondu, en indiquant que «très clairement, nous devons réduire notre dépendance aux combustibles fossiles, c’est pourquoi, au Canada, nous travaillons à mettre en place une série de mesures».

Le ministre Guilbeault a fait valoir que «depuis 2015, le Canada a mis en place une centaine de mesures et investi plus de 120 milliards de dollars pour soutenir l’action environnementale et atténuer les effets des changements climatiques».

Il a donné l’exemple de l’électrification des transports et du plan pour mettre en place une norme sur l’électricité propre et «un réseau carboneutre d’ici 2035».

Questionné à savoir si un jour le Canada arrêtera d’autoriser des projets pétroliers, Steven Guilbeault a répondu «que la production de ressources naturelles est une juridiction provinciale et territoriale», tout en reconnaissant que le gouvernement fédéral a le pouvoir de refuser ou d’accepter de nouveaux projets gaziers, comme ce fut le cas récemment avec le mégaprojet pétrolier Bay du Nord de la pétrolière norvégienne Equinor, au large de Terre-Neuve. 

Il a également indiqué que la demande en pétrole, dans le monde, va continuer à augmenter et qu’il faut utiliser du pétrole «qui soit le moins émetteur possible».

Selon la banque ATB, la production de pétrole brut en Alberta a atteint un record historique en 2022, avec un peu moins de 1,4 milliard de barils. C’est presque le double de la quantité de pétrole produite en 2010.

Le ministre québécois de l’Environnement, Benoit Charette, a pour sa part confié lundi matin qu’il n’avait pas encore eu le temps de consulter le nouveau rapport du GIEC, tout en indiquant qu’il en prendra connaissance.

Il a ajouté que le Québec «s’est engagé dans la carboneutralité» et «qu’au cours des prochaines années, il y aura une nouvelle commission parlementaire sur l’établissement de cibles intérimaires, donc on est dans la foulée de ces rapports du GIEC qui nous incitent à toujours plus d’actions».

Réduire 60 % des GES

Après un débat controversé, le panel scientifique de l’ONU a calculé et signalé que pour rester sous la limite de réchauffement fixée à Paris, le monde devait réduire de 60 % ses émissions de gaz à effet de serre d’ici 2035, par rapport à 2019.

«Les choix et les actions mis en œuvre au cours de cette décennie auront des impacts pendant des milliers d’années», souligne le rapport du GIEC, qualifiant le changement climatique de «menace pour le bien-être humain et la santé planétaire».

«Nous ne sommes pas sur la bonne voie, mais il n’est pas trop tard», a analysé la co-autrice du rapport et spécialiste de l’eau Aditi Mukherji.

«Notre intention est vraiment d’envoyer un message d’espoir, et non celui de l’apocalypse.»

Alors que le monde n’est qu’à quelques dixièmes de degré de l’objectif mondialement accepté de limiter le réchauffement à 1,5 degré Celsius par rapport l’époque préindustrielle, les scientifiques ont souligné un sentiment d’urgence.

L’objectif a été adopté dans le cadre de l’accord de Paris sur le climat de 2015 et le monde s’est déjà réchauffé de 1,1 degré.

Pour Greenpeace Canada, avec ce rapport, le temps est venu de «tenir les compagnies pour responsables et à les faire payer pour les pertes et dommages qu’elles causent».

Dans un communiqué, le responsable de la campagne Climat-Énergie chez Greenpeace Canada, Patrick Bonin, a déclaré que «nos gouvernements doivent cesser d’aider les entreprises d’énergies fossiles et les autres pollueurs, en cessant, entre autres, d’autoriser de nouveaux pipelines ou projets pétroliers et gaziers». 

Un dernier avertissement 

Il s’agit probablement du dernier avertissement que les scientifiques du GIEC font à propos de la cible de 1,5 degré, car leur prochaine série de rapports pourrait bien venir après que la Terre aura franchi ce seuil ou sera condamnée à la dépasser, selon ce qu’ont déclaré plusieurs scientifiques, y compris les auteurs du rapport, à l’Associated Press.

Après 1,5 degré d’augmentation, «les risques commencent à s’accumuler», a déclaré le co-auteur du rapport Francis X. Johnson, scientifique du climat, de la terre et des politiques à l’Institut de l’environnement de Stockholm. Autour de cette température, le rapport mentionne des «points de basculement» d’extinction des espèces, notamment les récifs coralliens, la fonte irréversible des calottes glaciaires et l’élévation du niveau de la mer de l’ordre de plusieurs mètres.

«La limite de 1,5 est critique, en particulier pour les petites îles et les montagnes (communautés) qui dépendent des glaciers», a déclaré Aditi Mukherji, qui est également directrice de la plateforme d’impact sur le changement climatique à l’institut de recherche CGIAR.

«La fenêtre se ferme si les émissions ne sont pas réduites aussi rapidement que possible», a indiqué Francis X. Johnson dans une interview. «Les scientifiques sont plutôt alarmés.»

De nombreux scientifiques, dont au moins trois co-auteurs, ont déclaré qu’il était inévitable d’atteindre 1,5 degré.

«Nous sommes à peu près enfermés dans la cible du 1,5», a déclaré le co-auteur du rapport Malte Meinshausen, climatologue à l’Université de Melbourne en Australie. «Il y a très peu de moyens d’éviter de franchir 1,5 degré dans les années 2030», mais l’enjeu principal est de savoir si la température continue d’augmenter à partir de là ou si elle se stabilise.

Antonio Guterres a insisté sur le fait que «la limite de 1,5 degré est réalisable». Mais le chef du panel scientifique, Hoesung Lee, a déclaré que jusqu’à présent, le monde était loin de sa trajectoire.

«Ce rapport confirme que si les tendances actuelles, les modèles actuels de consommation et de production se poursuivent, alors (…) l’augmentation de la température moyenne mondiale de 1,5 degré sera observée au cours de cette décennie», a déclaré Hoesung Lee.

Les scientifiques ont tenu à souligner que le monde, la civilisation ou l’humanité ne s’arrêtera pas soudainement si et quand la Terre franchit la barre du 1,5 degré. 

Mais un rapport antérieur du GIEC a détaillé comment les dommages – de l’absence de banquise en arctique pendant l’été aux conditions météorologiques extrêmes encore plus dommageables – sont bien pires au-delà du seuil de réchauffement de 1,5 degré.

«Il est certainement prudent de planifier un avenir supérieur à un réchauffement de 1,5 degré», a déclaré Steven Rose, rédacteur en chef du rapport du GIEC, économiste à l’Electric Power Research Institute aux États-Unis.

Si le monde continue à utiliser toutes les infrastructures alimentées par des combustibles fossiles, qu’elles soient existantes ou proposées, la Terre se réchauffera d’au moins 2 degrés Celsius depuis l’époque préindustrielle, selon le rapport.

Parce que le rapport est basé sur des données d’il y a quelques années, les calculs concernant les projets de combustibles fossiles déjà en cours n’incluent pas l’augmentation de l’utilisation du charbon et du gaz naturel provoquée par l’invasion de l’Ukraine par la Russie. 

Les pauvres souffriront davantage

Le rapport et les discussions sous-jacentes abordent également la disparité entre les pays riches, qui sont à l’origine d’une grande partie du problème, car les émissions de dioxyde de carbone de l’industrialisation restent dans l’air pendant plus d’un siècle et les pays plus pauvres sont plus durement touchés par les conditions météorologiques extrêmes. 

Les résidants des pays pauvres et vulnérables au climat sont «jusqu’à 15 fois plus susceptibles de mourir dans les inondations, les sécheresses et les tempêtes», a déclaré Hoesung Lee.

Si la communauté internationale veut atteindre ses objectifs climatiques, les pays les plus pauvres auront besoin d’une aide financière multipliée par trois à six pour s’adapter à un monde plus chaud et passer à une énergie non polluante, a déclaré le chef du panel scientifique. Les pays les plus riches ont pris des engagements financiers et promis un fonds d’indemnisation des dommages.

Nous marchons plutôt que courir

Le rapport offre de l’espoir si des mesures sont prises. Le mot «opportunité» apparaît neuf fois dans un résumé du rapport de 27 pages. Toutefois, cette opportunité est éclipsée par 94 utilisations du mot «risque».

«Le rythme et l’ampleur de ce qui a été fait jusqu’à présent et les plans actuels sont insuffisants pour lutter contre le changement climatique, a rappelé Hoesung Lee. Nous marchons alors que nous devrions courir.»

Le chef du panel scientifique a ajouté que le GIEC ne dit pas aux pays quoi faire pour limiter l’aggravation du réchauffement, ajoutant «qu’il appartient à chaque gouvernement de trouver la meilleure solution».

Avec les informations de La Presse Canadienne