Le feu éternel d’Eruoma Awashish

ARTS VISUELS. L’artiste multidisciplinaire Eruoma Awashish aime mélanger des symboles faisant référence à la culture des Premières Nations et à la religion catholique. C’est aussi une façon pour elle de reprendre son pouvoir dans sa propre spiritualité. Celle qui a grandi à Opitciwan présente actuellement quelques-unes de ses œuvres à la Galerie d’art du Parc de Trois-Rivières.

L’exposition Kakike Ickote – Feu éternel présente des installations sculpturales, de la peinture et de la vidéo qui traitent notamment de la place des femmes dans la spiritualité des civilisations et des époques.

En réinterprétant l’histoire du commencement du monde, Eruoma Awashish tisse un parallèle entre le feu sacré et l’identité des femmes autochtones. « En atikamekw, l’étymologie entre les mots femme et feu est la même. Le feu, c’est aussi la chaleur, la lumière. Dans nos histoires sur la création du monde, il y avait la grande noirceur avant qu’il y ait la toute première étincelle. C’est cette étincelle qui aurait fait jaillir toute la vie qu’on connaît partout dans l’univers. Pour moi, le feu, la femme… J’avais envie de parler de ça », confie-t-elle.

« Avant l’arrivée de la religion catholique dans nos communautés, la femme avait un rôle très important. Par exemple, les kukums, les grands-mères, étaient toujours consultées. Leur parole était très importante lors des prises de décisions pour la nation, mais avec l’arrivée de la religion, c’est venu chambouler tout ça, ajoute-t-elle. Les femmes reprennent tranquillement leur place. Pour moi, le fait de m’approprier des symboles qui proviennent de la religion catholique pour les autochtoniser, c’est une façon de reprendre mon pouvoir dans ma propre spiritualité. »

Eruoma Awashish reprend également divers motifs et symboles qui sont dessinés par les communautés autochtones depuis des centaines d’années. L’exposition renferme certains de ces motifs qui ont été reproduits à l’aide d’aiguilles de porc-épic. Pour l’artiste, le fait que ces symboles aient traversé les époques montre que la culture atikamekw est forte, malgré les tentatives d’assimilation.

Eruoma Awashish a également réservé un espace pour rendre hommage aux femmes autochtones disparues. « Les femmes autochtones sont plus vulnérables de se faire kidnapper, agresser, assassiner même. Moi, en étant maintenant mère d’une petite fille, ça me préoccupe beaucoup. Je veux parler des femmes, leur rendre hommage, mais aussi aborder la sororité, la transmission et la grande force qui nous habite, les femmes. »

La naissance de sa fille, il y a sept ans, est d’ailleurs venue transformer sa vision artistique.

« Ça a complètement changé ma façon de voir les choses, affirme-t-elle. L’expérience humaine, je l’ai vécue complètement en donnant naissance à ma fille et en la portant. Dans ma démarche artistique, je parlais beaucoup du deuil, de la blessure, de la guérison, puis de la vie et des passages entre le monde terrestre et le monde des esprits. J’ai eu l’impression de vivre ça quand mon père est également décédé durant ma grossesse et que ma fille est née peu de temps après. »

Une grande photographie d’Eruoma Awashish et de sa fille trône au cœur de l’exposition. Front contre front, les yeux fermés, mère et fille rappellent ce concept de grand cercle de la vie. « Quand je regarde ma fille, c’est un peu comme si je me regardais quand j’étais enfant, puis elle, comme si elle pouvait se projeter plus tard à l’âge adulte. Il y a cette idée du cercle et du temps qui n’est pas linéaire chez nous. »

Les mots du cœur

On voit encore peu d’art autochtone dans les galeries d’art et espaces d’exposition. Pourtant, l’art s’avère un moyen intéressant pour commencer à s’ouvrir aux Premières Nations, souligne Eruoma Awashish.

« Je trouve que l’art est vraiment un bon moyen d’entamer le dialogue parce que lorsqu’on transmet des choses par l’art, c’est comme si on le transmettait par le biais du cœur. C’est à travers le cœur qu’on communique et à travers les émotions que l’on ressent devant une œuvre d’art. Parfois, c’est de la colère; parfois, c’est de la tristesse. On passe par toutes sortes d’émotions, mais ça passe par le cœur. Je pense que la première étape, c’est de se laisser toucher par cet art. »

« Je pense que de plus en plus, le peuple canadien et québécois doit arrêter de se sentir détaché des peuples autochtones et de nos histoires, car votre pays s’est construit sur le territoire autochtone. Notre culture est toujours dynamique et vivante parce qu’on est ouvert. La flamme continue de se nourrir et de se déployer en s’ouvrant aux autres. Nos histoires font partie de vos histoires et vous devriez en être fiers, en fait. »

L’artiste multidisciplinaire travaille maintenant sur un projet de documentaire pour explorer des questionnements qui l’habitent en lien avec la religion, la spiritualité et son cheminement spirituel.

« C’est aussi pour avoir des réponses à donner à ma fille plus tard quand elle me questionnera sur différents sujets. Parfois, on ne trouve pas toujours des réponses et, en ce moment, on a une génération d’aînés qui sont nés dans le bois et qui ont connu l’ancien mode de vie qui nous quitte de plus en plus. J’aimerais beaucoup pouvoir discuter de certains sujets avec eux avant qu’ils ne nous quittent », conclut-elle.

Le saviez-vous?

Depuis l’automne 2023, une grande murale d’Eruoma Awashish orne le mur de l’organisme Tandem Mauricie, sur la rue Laviolette à Trois-Rivières.