Nicole Petiquay reçoit le Prix de la valorisation des langues autochtones

LANGUE. Plusieurs appellent Nicole Petiquay la gardienne de la langue atikamekw. Un titre qui lui va comme un gant, puisque c’est exactement ce qu’elle accomplit dans le cadre de son travail de coordonnatrice des services linguistiques au Conseil de la nation atikamekw (CNA).  

Mme Petiquay rigole bien quand elle l’affirme, mais si c’était d’elle seulement, la planète entière parlerait l’atikamekw.

L’Université de Montréal vient de lui décerner le Prix de la valorisation des langues autochtones, pour l’ensemble de son œuvre, dans le cadre du Mois national de l’histoire autochtone. Le prix est destiné à reconnaître le travail des personnes autochtones engagées dans la préservation et la transmission de leur langue.

« J’étais surprise », confie-t-elle.  Cette reconnaissance lui a permis de prendre conscience de l’étendue du travail qu’elle a accompli. « Mikwetc (merci) Nicole pour ton travail exceptionnel! Ta contribution pour assurer la pérennité de notre langue est inestimable », a pour sa part réagi le Grand chef du CNA, Constant Awashish, face à son prix.

Nicole Petiquay parle beaucoup de l’état de santé actuel de la langue et c’est avec une pointe de fierté qu’elle observe que l’atikamekw est encore utilisé à 95% chez les membres des Premières nations dans la région. « Il faut la maintenir, la promouvoir le plus possible », martèle Nicole Petiquay.

Ce n’est pas d’hier que cette femme de terrain promeut sa langue maternelle. Elle a enseigné pendant 19 ans à l’école primaire de Wemotaci avant d’arriver au CNA, en 2008.

En tant que chargée de cours au département des sciences de l’éducation  de L’UQTR, Mme Petiquay a aussi formé des gens des trois communautés atikamekw dans la maîtrise de leur langue. Elle a donné des cours aux enseignants atikamekw sur les fondements pour l’enseignement de la langue algonquienne dans le microprogramme en langue atikamekw.

« Il y a toujours une fragilité, peu importe la langue. C’est notre plus bel héritage, qu’on puisse encore la parler, grâce à nos ancêtres qui l’ont si bien conservée. C’est à nous d’en faire la promotion, la sensibilisation, la préservation », soutient-elle.

Elle tient à ce que les jeunes l’apprennent, pour qu’elle ne se perde jamais. D’autant plus que l’atikamekw, par le passé, était une langue orale, peu écrite. Dans le début des années 90, quand on a voulu instaurer un programme bilingue d’enseignement, on n’avait à peu près que la bible comme document écrit traduit.

Elle indique que depuis 1992, la communauté de Wemotaci offre la maternelle entièrement en atikamekw et introduit le français de façon progressive jusqu’à la 6e année où 90% de l’enseignement est fait en français.

À Manawan, deux programmes sont proposés, français ou bilingue, alors que l’enseignement se déroule en français à Opitciwan.

Les Atikamekw parlent aisément leur langue. « Ceux qui sont à La Tuque parlent plus le français, mais dans la communauté, je dirais qu’on le parle encore. C’est sûr qu’il y a des mots en français qu’on emploie », fait ressortir celle qui se réjouit de voir le mot d’accueil « Kwei » dans des endroits publics.

Dictionnaire

Puisque son travail est de trouver des outils pour promouvoir la langue atikamekw, on l’a entendue dans des chroniques linguistiques fort intéressantes au réseau radiophonique SOCAM. Tout récemment, avec l’Université Carleton, le CNA lançait deux importants ouvrages de référence sur la langue atikamekw, un dictionnaire atikamekw-français et un dictionnaire français-atikamekw. 12 000 mots en atikamekw trouvent dorénavant leur équivalent en français dans ces ouvrages qui ont prouvé leur utilité.

Néologismes

La langue évolue. La langue atikamekw traditionnelle fait place à de nouveaux mots pour désigner, par exemple, des termes informatiques. Un aîné avait donné le nom de kanokepitcikan pour désigner un ordinateur, soit « l’objet qui garde en mémoire ». Internet a aussi son équivalent, pamikicikowipitcikan, « qui voyage au-dessus des arbres, à travers le monde ».

Il y a des mots prononcés de la même façon que les ancêtres, même si le sens a changé avec le temps.  Le terme employé pour un animal domestique aujourd’hui désignait autrefois un prisonnier.

Les termes liés au territoire, qu’on craint de sacrifier face au modernisme, retrouvent leur place à l’occasion des semaines culturelles, quand tout le monde va à la chasse ou à la pêche.

« On fait parler la terre. La langue atikamekw est rattachée au territoire », affirme cette détentrice d’un certificat de l’Université Laval comme techno linguiste.

Régionalismes

La langue se ressemble d’une communauté à l’autre, mais il existe de petites différences. On en retrouve davantage du côté d’Opitciwan.

L’atikamekw est parmi les langues autochtones les plus vivantes. « Dans toutes les langues algonquines, ils parlent d’une proto-langue avec le « r »  : on est la seule nation qui parle avec le « r », on l’a conservé. Ils parlent avec le « l », le « n », mais c’est juste les Atikamekw que tu vas entendre parler avec le « r », tenait-elle aussi à faire remarquer.

La langue atikamekw intéresse-t-elle également les non-autochtones?

Certainement, affirme sans détour Mme Petiquay. Des ateliers ont été donnés aux écoles Centrale et Champagnat, où elle a noté beaucoup de curiosité de la part des jeunes qui posaient des questions. Des fois, des gens lui écrivent pour l’interroger sur la provenance de certains mots.

« De plus en plus, on perd l’encyclopédie vivante, nos aînés, met-elle en garde. Quand j’écoute un aîné, il n’y a aucun mot en français, juste de l’atikamekw ».

Toute jeune, Nicole Petiquay ne se doutait pas de sa future vocation de conservatrice de la langue. Comme tout le monde, elle a dû apprendre à la lire et à l’écrire. De fil en aiguille, l’intérêt est grandissant et c’est ce qui lui a permis de développer le goût d’en apprendre toujours plus.