Lac-Mégantic: comment décrire l’indescriptible

Les pompiers latuquois qui se sont rendus prêter main-forte à leurs collègues de Lac-Mégantic du 15 au 19 juillet ont vécu toute une expérience professionnelle, mais aussi humaine et émotionnelle. Tous auront été transformés par cette solidarité et cette entraide qu’ils ont connues et à laquelle ils ont pris part.

Daniel Leblanc, pompier depuis 15 ans, écrivait mardi en soirée sur sa page Facebook, une phrase qui résumait assez bien ce qu’il ressentait. «Le dicton dit qu’une image vaut mille mots…ici, il n’y a pas de mots pour décrire…». À son retour à La Tuque, Daniel Leblanc expliquait à l’ÉCHO que sur place, ce qu’ils avaient vu était inexplicable. «Quand tu es là, les mots te manquent pour décrire l’indescriptible. On dirait qu’on est dans une zone de guerre. En 15 ans, je n’ai jamais vu un sinistre de cette ampleur», expliquait-il.

«Le travail est très bien coordonné. Ils fonctionnent avec une méthode qui a fait ses preuves. On nous affecte à chacun, des tâches précises. On nous envoie dans un secteur où on travaille entre 15 et 30 minutes dépendamment de la température puis on fait une pause. Ils assignent quelqu’un d’autre le temps qu’on se repose et ça repart. On est très bien encadré. On ne manquait de rien», racontait M. Leblanc.

Serge Buisson, dont l’ami Denis Lauzon est le directeur du Service de Sécurité incendie de Lac-Mégantic, estimait quant à lui que ce dernier avait su s’adjoindre les bons éléments pour effectuer les tâches nécessaires dans des circonstances hors de l’ordinaire. «Les pompiers de Lac-Mégantic ont été affectés à d’autres tâches que de la recherche de corps, ce qui est très bien. Tant qu’ils sont occupés, tant qu’ils auront le support de la confrérie, ça ira pour eux. Quand tout cela sera fini, quand ils tomberont à ne rien faire, ils vont frapper un mur. J’ai un énorme respect pour ces pompiers. Ils sont terriblement forts psychologiquement», soulignait le directeur Buisson.

«J’ai vécu toute une expérience, mais c’est encore plus toute l’expérience que j’ai pu aller chercher là qui est impressionnante. On avait déjà eu une formation pour nos pompiers avec le CN sur les mesures d’urgence lors de déraillement de train et de déversement de matières dangereuses. On avait même eu un simulateur pour cette formation. Mais là, ce que je suis allé chercher, c’est énorme. Aucune formation n’arrive avec ça», laissait-il tomber.

D’ailleurs, Serge Buisson a eu la chance de diriger les opérations d’un secteur du site. «Ils m’ont mis responsable du secteur mousse, c’est-à-dire du secteur où les experts pompaient le mazout et déplaçaient les wagons avant de les rincer et de les déchiqueter. J’avais la responsabilité de deux groupes de pompiers qui étaient situés de chaque côté pour protéger les travailleurs. Par exemple, on devait vérifier fréquemment la qualité de l’air pour connaître le degré d’explosivité», précisait-il.

Serge Buisson et Daniel Leblanc ont dû quitter après trois jours à cause d’impératif lié au travail, mais deux autres pompiers latuquois les ont remplacés avant qu’ils ne quittent les lieux. Guy Doucet et Tommy Lavoie ont pris la relève auprès de Gabriel Beaulieu et de Charles-Olivier Hardy qui auront été sur place sept jours. Avant de partir, Serge Buisson est allé remettre le drapeau de Ville de La Tuque à son ami Denis Lauzon. «Il ne s’y attendait pas du tout. Il a tout de suite installé notre drapeau sur le mur de la caserne en guise de reconnaissance», déclarait-il.

«Mes gars reviennent ce soir (vendredi) et j’ai vraiment hâte de leur parler. On fera un bilan et je crois que ce sera très important de le faire», glissait-il. Durant ces jours passés à chercher et trouver des personnes, grâce à l’adrénaline du moment, les deux hommes avouaient ne pas avoir eu le temps de penser au côté humain et émotionnel de la chose.

Mais mercredi avant de quitter, tous deux sont allés à l’église. «Lorsque j’ai vu toutes ces photos des victimes sur les marches devant l’autel, tous ces bouquets, la musique, quand on a mis des visages sur le drame, j’ai vraiment eu un choc. Je sais que mes gars y sont allés eux aussi», mentionnait Serge Buisson visiblement ému. «On a trouvé des gens, des enfants durant cette semaine et je n’avais pas eu de réaction. J’ai 27 ans d’expérience et le plus gros incendie avec décès auquel j’avais été confronté était celui du lac l’Escarbot en 2007 où il y avait eu cinq morts. Là encore, je n’avais pas eu de réaction émotionnelle forte compte tenu des événements. Mais cette fois-ci, je le vis très différemment. Et si moi je ressens ce genre de choc émotionnel avec l’expérience que j’ai, j’imagine mes gars. C’est pourquoi j’ai très hâte de les voir arriver et de parler avec eux. Je suis vraiment fier d’eux, de ce qu’ils ont fait», concluait-il. «Ce fut le côté le plus dur de toute cette expérience», déclarait pour sa part Daniel Leblanc.

La sécurité avant tout

Ne peut pas aller prêter main-forte qui veut à Lac-Mégantic. Tout est coordonné par le service de pompiers. «J’ai reçu un courriel de l’Association des chefs de pompiers qui s’est chargé de rejoindre tous les services incendie. Je devais leur donner le nombre de pompiers et les dates où nous étions disponibles. Ensuite, on nous indiquait où nous rendre et quel jour s’y rendre. Sur place, pour entrer dans le périmètre de sécurité, nous devions être accrédités par la SQ qui contrôlait les entrées sur le site. Une carte d’identité nous était remise et ensuite on nous donnait des tâches», mentionnait M. Buisson. Cette façon de faire assure qu’en tout temps, les gens qui sont sur place ont le droit d’y être. C’est non seulement une marque respect envers les familles, mais aussi très sécuritaire.