Direction Lac-Saint-Jean: un périple de 20 heures

PIONNIERS. Aujourd’hui, la route reliant La Tuque au Lac-Saint-Jean se fait en moins 1h30, mais le 20 décembre 1954, il aura fallu près de 20 heures à Roland et Léo Ménard, Hervé Tremblay, Claude Cayer et Majorique Juneau pour compléter les premiers ce périple. Le trajet a été officiellement inauguré 9 janvier 1955.

Lorsqu’Alcide Juneau a souligné au groupe que «ça passe» entre La Tuque et le Lac-Bouchette, les comparses ont immédiatement sauté dans la Hudson Jet 1953 de Roland Ménard sans avertir personne pour être les premiers à réaliser le trajet sur la nouvelle route reliant les deux régions. Les cinq amis avaient de 18 à 22 ans à l’époque.

Avec un pain, trois livres de baloney, une livre de beurre, et quelques outils, ils ont pris la route vers le Lac-Bouchette, sans savoir ce qui les attendait.

«Nous avons passé proche de mourir, lance dès le départ M. Ménard. Nous sommes partis vers 14h de La Tuque. Nous sommes arrêtés à La Bostonnais pour voir le curé Normandin, mais il n’était pas là. Nous avons fait bruler quelques lampions question que le bon Dieu nous protège pendant le voyage!»

Malgré la neige importante qui tombait, le quintette n’a jamais eu l’idée de rebrousser chemin.

Avant d’arriver au domaine Van Bruyssel, un camionneur a suivi la petite Hudson Jet pendant un bon moment, et le groupe lui a demandé s’il restait beaucoup de côtes. La réponse a été négative. Mais des côtes, il y en avait encore beaucoup. «Le camionneur ne voulait même pas allumer ses lumières pour qu’on puisse replacer nos chaînes sur les pneus. C’est là que la misère a commencé. À la hauteur de Van Bruyssel, la voiture est tombée en panne. Il faisait tellement froid, qu’on cassait le baloney en deux pour pouvoir le manger. En plus, on commençait à manquer de gaz. On a trouvé un drum de gaz, et on le transportait dans un chapeau pour le mettre dans l’auto, se souvient M. Ménard. À force d’essayer de restarter le moteur, il repart. Mais 13 miles plus loin, la voiture est retombée en panne. La batterie est à terre, et on n’a pas le choix de passer la nuit en forêt avec les animaux. On sortait de la voiture, et on avait de la neige en haut des genoux.»

Le groupe entend les hurlements des loups, et certains commencent à avoir peur. Avec une hache, M. Tremblay ramène du bois pour faire un feu.

Tôt le lendemain matin, Roland Ménard et Claude Cayer prennent la décision de partir à pied. Les trois autres décident de demeurer près du feu. «On ne savait même pas si on était plus proche de La Tuque ou du Lac-Bouchette!»

Les trois autres comparses ont décidé aussi de marcher une heure plus tard. Après 5 miles à marcher, le trio aperçoit des habitations près du lac des Commissaires. Ils ont appris en s’informant que leurs deux amis partis plus tôt se trouvaient dans une des maisons.

M. et Mme Paradis se sont occupés des cinq hommes en leur donnant à manger.

Puis, Claude Cayer et Roland Ménard ont accompagné un conducteur d’une snowmobile et d’un tracteur afin de sortir la Hudson Jet du bourbier.

Après s’être rendu à Saint-Joseph-d’Alma où la grand-mère Ménard résidait. Le groupe a pris la direction du parc des Laurentides vers Québec afin de revenir à la Tuque. Il n’était pas question d’utiliser le même chemin.

Et si c’était à refaire?

Pour Roland Ménard, avoir su que le tronçon de route était aussi périlleux, il n’aurait pas fait le voyage. «Surtout pas avec un petit char de même. Par contre, cette aventure m’a procuré du courage pour le reste de ma vie. Ça reste une fierté de dire que nous avons été les premiers à faire la route. Mais on n’était jeune et on ne connaissait pas le danger.»

Pour Hervé Tremblay, il s’agit d’un tout autre discours. «Si c’était à refaire, je le referais. Chaque année, je fais mon pélérinage en allant au Lac-Saint-Jean, et je couche au Lac-Bouchette. Ça demeure de beaux souvenirs quand je passe par là!»