Un Québécois se fait refuser une chirurgie d’urgence en Colombie-Britannique

VANCOUVER — Un Québécois ayant subi plusieurs fractures au visage dans un accident en Colombie-Britannique s’est vu refuser une chirurgie d’urgence par un médecin qui craignait que le Québec refuse de payer pour l’intervention médicale.

Patrick Bélanger, 23 ans, affirme que son histoire doit servir de mise en garde pour les Québécois et tous les autres Canadiens qui s’enorgueillissent du système universel de soins de santé, puisque des médecins d’autres provinces pourraient refuser de traiter des Québécois en plaidant qu’ils ne seraient pas indemnisés.

Le cauchemar de M. Bélanger a commencé le soir du vendredi 10 juin lorsqu’il est parti en randonnée avec sa conjointe sur un sentier du centre de villégiature de Sun Peaks, en Colombie-Britannique. Le jeune homme a trébuché avant de chuter vers l’arrière dans le noir, puis son visage a violemment buté contre un bloc de pierre.

Il a été transporté d’urgence à l’Hôpital Royal Inland de Kamloops peu avant minuit et a été informé qu’il devait subir une intervention chirurgicale pour son «visage brisé». Il aurait subi des fractures à la mâchoire, à la joue et à un os près de son œil gauche.

Mais comme aucun chirurgien n’était disponible le samedi, il a reçu son congé de l’hôpital avec une prescription de Percocet, un médicament contenant des opioïdes, afin d’apaiser ses douleurs, a relaté M. Bélanger.

Le lendemain matin, le dimanche, sa conjointe Beth Cooper et lui sont retournés à l’hôpital pour l’intervention chirurgicale, mais au moment où le personnel le préparait pour le bloc opératoire, le chirurgien a tout annulé.

«Il a dit que l’hôpital ne le laisserait pas opérer parce que je venais du Québec», a rapporté M. Bélanger, en précisant qu’il avait présenté sa carte d’assurance maladie à son arrivée à l’hôpital.

«J’étais en état de choc. Plus j’y réfléchissais, plus c’était insensé. Normalement, vous faites l’opération et vous gérez le paiement de la facture par la suite, du moins c’est ce que je pensais qu’il se passerait», a-t-il confié.

«J’étais très effrayé. J’étais un peu dans les vapes parce que je souffrais beaucoup et que j’étais sous l’effet des médicaments, mais j’étais au téléphone avec mes parents pour essayer de comprendre quoi faire», a poursuivi celui qui étudie en économie à l’Université Bishop, à Sherbrooke.

Patrick Bélanger a offert de payer pour la chirurgie grâce à l’assurance privée de sa famille, mais le chirurgien a rejeté cette possibilité en disant qu’il devait d’abord en parler à la direction de l’hôpital, mais que la personne responsable n’était pas disponible le week-end.

«Quand il m’a dit que la chirurgie ne pourrait pas être pratiquée ce jour-là, il m’a suggéré de prendre un vol pour Québec et de me faire opérer là-bas», dénonce-t-il.

Le médecin lui a fait savoir qu’il disposait d’une fenêtre de dix jours avant que ses os brisés ne commencent à se ressouder.

«On se disait que c’était complètement absurde de me proposer de prendre un vol commercial avec le visage fracturé pour me faire opérer ailleurs dans mon propre pays», s’insurge le jeune homme.

Droit bafoué

Ses parents se sont rendus à Kamloops le lendemain et ont tenté sans succès de parler avec un responsable du service de santé de l’Intérieur de la Colombie-Britannique pour trouver une option pour leur fils, a expliqué son père Richard Bélanger.

«Nous étions renversés de voir son droit fondamental, en tant que Canadien, être bafoué», a commenté le père en décrivant l’expérience de «cauchemar».

Richard Bélanger raconte s’être rendu à la clinique privée du chirurgien pour fournir les informations concernant l’assurance privée de la famille en plus de lui fournir sa carte de crédit afin qu’il procède à l’intervention. Le personnel a répondu que les fractures de son fils étaient trop graves et que la chirurgie devait absolument se faire dans un hôpital.

En tout, Patrick Bélanger a dû patienter quatre jours à combattre des douleurs terribles avec des opioïdes et de la morphine avant que son dossier ne soit transféré à un autre chirurgien.

«Je me réveillais au milieu de la nuit en pleurant et en criant de douleur», se rappelle-t-il.

Le deuxième spécialiste a réitéré qu’il devait être opéré d’urgence et l’intervention a finalement eu lieu sept jours après l’accident.

Sa famille et lui ne comprennent toujours pas pourquoi le premier chirurgien a refusé de procéder à l’intervention urgente dès le départ.

«C’est de l’incompétence grave de la part de l’hôpital et un échec du système de soins de santé canadien», conclut la mère du jeune homme, Martha Ferris.

Québec recommande l’assurance privée

Pour Patrick et Richard Bélanger, il s’agit clairement d’un cas de discrimination contre un patient québécois parce que le Québec rembourse les frais d’hôpitaux, mais ne fait pas partie d’une entente de réciprocité impliquant toutes les autres provinces et territoires concernant le paiement de frais au médecin.

L’association représentant les médecins de Colombie-Britannique explique qu’une entente permet à ses membres de facturer leurs frais professionnels à la Colombie-Britannique pour les patients provenant d’autres provinces comme s’il s’agissait de patients locaux et la province de résidence rembourse ces frais. 

Dans le cas d’un patient québécois, les médecins ne peuvent pas envoyer leur facture à la Colombie-Britannique afin d’être payés, précise l’association Doctors of BC.

Toutefois, les médecins qui fournissent des soins à des Québécois peuvent transmettre leur facture au Québec ou directement aux patients qui se font rembourser à leur tour par le gouvernement du Québec.

Le ministère de la Santé du Québec a indiqué à son tour que les médecins sont payés au même tarif que le serait un spécialiste québécois pratiquant le même acte médical. Les patients doivent payer la différence si la facture est plus élevée. Ils peuvent ensuite réclamer un remboursement à leur assureur privé.

Québec recommande d’ailleurs aux voyageurs de se munir d’une assurance privée avant de voyager à l’extérieur de la province.

Dans le cas de M. Bélanger, l’assureur privé avait au départ refusé de payer parce que le chirurgien prétendait que le patient pourrait rentrer au Québec pour être opéré dans un délai de dix jours. 

L’urgentologue avait aussi inscrit dans le dossier que le patient pouvait être «possiblement intoxiqué», ce qui a plus tard été rayé puisque l’hôpital n’a jamais effectué de prélèvement sanguin pour détecter la présence d’alcool ou de drogue.

Le premier chirurgien ayant refusé de procéder à l’intervention, le Dr Peter Stefanuto, a refusé notre demande d’entrevue.

Dans un courriel, il a indiqué qu’il ne pouvait pas discuter d’un cas particulier, mais que «les soins sont fournis en cas d’urgence à tout patient, peu importe sa province ou son pays d’origine».

Le Dr Bob Rishiraj, qui a finalement procédé à l’opération, a mentionné qu’il ne se souciait pas du tout des enjeux «politiques» entourant la facturation, particulièrement après avoir été informé que le patient avait consommé des opioïdes et de la méthadone pendant des jours et qu’un délai supplémentaire augmentait les risques d’infection.

«Je crois qu’un patient est un patient et que ça ne change rien qu’il soit du Québec ou de l’Ontario ou de n’importe où, je crois qu’il doit juste être traité», a tranché le Dr Rishiraj.

La famille Bélanger a finalement dû payer des frais de 2563 $ au Dr Rishiraj et a fait savoir qu’elle tenterait d’obtenir un remboursement du gouvernement du Québec.