Un plan d’action réclamé pour accompagner la nouvelle stratégie indo-pacifique

OTTAWA — Les partis d’opposition à la Chambre des communes et des experts en géopolitique réclament un plan d’action pour accompagner la nouvelle stratégie indo-pacifique du Canada, dévoilée dimanche par la ministre Mélanie Joly.

La nouvelle stratégie a été critiquée par certains observateurs, qui lui reprochent de ne pas répondre adéquatement aux besoins de cette région du monde, mais elle a surtout été balayée du revers de la main par l’ambassadeur de la Chine au Canada.

Toutefois, du côté des secteurs concernés et des experts en matière, l’accueil a été plus favorable.

«C’est le document stratégique concernant une politique étrangère le plus complet que nous ayons vu de la part d’un gouvernement canadien depuis longtemps», a estimé Roland Paris, qui est un ancien conseiller du premier ministre Justin Trudeau.

«Mais j’aimerais mieux comprendre comment le gouvernement va mesurer s’il atteint ses cibles et comment il sera redevable», a-t-il cependant ajouté.

La stratégie indo-pacifique, qui devait initialement être publiée en 2020, verra le Canada investir 2,3 milliards $ au cours des cinq prochaines années pour des projets d’échanges commerciaux et de défense en Asie-Pacifique. L’objectif avoué est de contrer la montée en puissance de la Chine ; le document présente l’attitude que souhaite adopter Ottawa dans ses relations avec Pékin.

Les cibles concrètes à atteindre pour confirmer la réussite de cet objectif ne sont toutefois pas spécifiées.

Par exemple, la stratégie indique que le gouvernement embauchera des diplomates, mais il n’est pas précisé combien seront ajoutés. Il faut donc se rabattre sur une plus ancienne déclaration du premier ministre Trudeau, qui avait parlé d’une soixantaine de nouvelles embauches.

Selon M. Paris, qui est aujourd’hui directeur de l’École supérieure d’affaires publiques et internationales de l’Université d’Ottawa, les objectifs énoncés par Ottawa seront pris au sérieux seulement si le gouvernement fournit plus de détails, notamment en ce qui a trait aux ressources militaires.

«Il y a un certain nombre de propositions qui sont intéressantes, mais qui nécessitent plus d’explications. Par exemple, c’est quoi une porte commerciale, exactement?»

La stratégie prévoit 24 millions $ pour établir une plaque tournante visant à aider les entreprises canadiennes à repérer les opportunités d’investissement dans la région.

Les détails ne sont pas précisés dans la stratégie elle-même, mais le bureau de la ministre du Commerce international, Mary Ng, a décrit lundi cette porte commerciale comme un espace physique qui serait probablement situé à Singapour.

Au Parlement

Chez les oppositions, le porte-parole conservateur en matière d’Affaires étrangères, Michael Chong, poursuit son évaluation de la stratégie, mais il a rappelé qu’elle ne pourra fonctionner que si le gouvernement ne la place pas sur une tablette.

De telles stratégies ont déjà été reléguées aux oubliettes, selon M. Chong, qui a cité en exemple la législation des libéraux visant à interdire les importations de main-d’œuvre ouïghoure forcée du Xinjiang, qui, selon lui, ne semble pas appliquée.

«À bien des égards, la stratégie est arrivée trop tard. Le gouvernement tente de récupérer nos alliés et partenaires démocratiques dans la région», a écrit M. Chong dans un courriel.

De son côté, le NPD a déclaré qu’il était d’accord avec l’objectif de diversifier le commerce en dehors de la Chine et d’approfondir le travail sur le climat et les droits de l’homme. La députée Heather McPherson a d’ailleurs promis de se battre pour s’assurer qu’il ne s’agisse «pas simplement d’une autre promesse vide».

Le Bloc québécois a quant à lui souligné que la stratégie était cruciale, mais qu’il était sceptique qu’Ottawa en fera assez pour voir des résultats.

L’ambassadeur de Chine mécontent

Dans un discours prononcé lundi à l’Université d’Ottawa, l’ambassadeur de la Chine au Canada, Cong Peiwu, a affirmé aux étudiants que le gouvernement canadien devrait cesser d’imiter les États-Unis et résister à l’idée d’une nouvelle guerre froide.

«Malheureusement, il semble que le Canada a suivi la pratique américaine de créer de la division et d’alimenter la confrontation dans la région», a déclaré M. Cong.

«De l’avis de la Chine, cela a déformé les faits, exacerbé la théorie d’une soi-disant menace chinoise et enfreint les affaires intérieures de la Chine. Nous nous y opposons fermement.»

M. Cong a plutôt fait valoir que la Chine présentait une opportunité de croissance économique, et il a soutenu que le Canada se rangeait du côté d’une approche américaine qui ne ferait que menacer la stabilité mondiale.

«Essentiellement, il tente de faire des pays d’Asie-Pacifique des pions de l’hégémonie américaine, essayant de provoquer des tensions pour déranger les relations de la région Asie-Pacifique», a-t-il mentionné.

«Ce genre d’accusations sans fondement et de pointage du doigt ne sont vraiment pas du tout propices à notre future coopération.»

M. Cong a ajouté qu’il espère qu’Ottawa trouvera un terrain d’entente, «abolira (la) mentalité de guerre froide et promouvra les relations Canada-Chine».

Les journalistes ont été autorisés à assister au discours, mais n’ont pas pu filmer les propos. Pendant l’allocution, un rideau a été abaissé pour bloquer la vue sur une manifestation contre le traitement réservé aux Ouïghours par la Chine qui avait lieu sur le campus.

Le discours de M. Cong était prévu avant l’annonce de la nouvelle stratégie par le gouvernement fédéral.