Inflation: les chèques de l’Alberta et du Québec pourraient nuire, selon des experts

Les provinces qui offrent de l’aide ponctuelle à leur population pour les aider à faire face à la flambée des prix risquent d’aggraver l’inflation plutôt que de l’atténuer, estiment des économistes.

Selon eux, cette stratégie ne parvient pas à juguler l’inflation, puisque cet influx supplémentaire d’argent fait en sorte que les gens peuvent continuer à dépenser et que la demande pour les produits et services reste élevée, empêchant ainsi la plus forte inflation en plusieurs décennies de diminuer.

Si les gens avaient moins d’argent à dépenser pendant que les prix sont élevés, cela pèserait sur l’inflation et contribuerait à l’objectif de la Banque du Canada de réduire la pression sur le système financier, poursuivent-ils. 

L’inflation annuelle s’est établie à 6,9 % le mois dernier au Canada, alors qu’elle était de 8,1 % en juin. 

Donner de l’argent aux ménages est «susceptible de contribuer au problème plutôt que de le résoudre», a fait valoir Travis Shaw, vice-président principal des finances publiques de DBRS Morningstar. 

«Cela va à l’encontre de ce que la Banque du Canada essaie de faire avec la politique monétaire en essayant de réduire la pression du système et, en fin de compte, de réduire l’inflation», a-t-il affirmé. 

Ses remarques interviennent un jour après que la première ministre de l’Alberta, Danielle Smith, a annoncé son intention de distribuer 600 $ sur six mois aux familles de sa province dont le revenu annuel est inférieur à 180 000 $, pour chaque enfant de moins de 18 ans. Le même seuil de revenu et la même prestation s’appliqueront aux aînés.

Mme Smith indexera également les aides au revenu en fonction de l’inflation, fournira 200 $ supplémentaires en remises sur les factures d’électricité des consommateurs pendant les mois d’hiver et suspendra l’intégralité de la taxe provinciale sur les carburants pendant au moins les six prochains mois. 

Pour compléter le plan de 2,4 milliards $, la province a annoncé un investissement dans les banques alimentaires et l’expansion d’un programme de laissez-passer de transport en commun pour les personnes à faible revenu. 

«Trop de mamans et de papas doivent choisir entre des aliments nutritifs pour leurs enfants et faire leurs versements hypothécaires croissants. De nombreuses personnes âgées choisissent entre remplir leurs ordonnances nécessaires et faire le plein pour leurs véhicules», a affirmé mardi Mme Smith, lors d’un discours annonçant les mesures. 

«En tant que province, nous ne pouvons pas résoudre seuls cette crise de l’inflation, mais grâce à notre solide situation financière et à notre budget équilibré, nous pouvons offrir un soulagement substantiel, afin que les Albertains et leurs familles soient plus en mesure de traverser cette tempête.» 

Idéalement des mesures limitées dans le temps

Avec un plan comme celui de Mme Smith, l’économiste Marc Desormeaux, de Desjardins, estime qu’il «existe un risque que les ménages qui reçoivent cet argent ne fassent que le dépenser et que cela contribue à la demande et exacerbe l’inflation». 

Les provinces qui veulent avoir recours aux transferts aux ménages, croit-il, devraient idéalement en faire des mesures limitées dans le temps, qui ciblent les personnes à faible revenu, qui ont tendance à être les plus touchées par l’inflation. 

«Si ces transferts et ces mesures d’allégement sont réservés aux personnes à plus faible revenu, le risque que cela stimule l’inflation est moindre», a-t-il fait valoir. 

M. Shaw a noté que l’annonce de Mme Smith précédait la mise à jour financière et l’énoncé économique que doit présenter jeudi le ministre des Finances de l’Alberta, Travis Toews. Les Albertains seront en outre plongés dans une élection générale dans six mois. 

«Ces paiements seront de 100 $ pendant six mois, ce qui nous mène tout juste à la date des élections du printemps», a observé M. Shaw. 

Mme Smith n’est pas la seule première ministre à se tourner vers de telles aides ponctuelles pour soulager l’inflation. 

Lors du dépôt de son budget printanier, le ministre des Finances du Québec, Eric Girard, a annoncé le versement d’un paiement unique de 500 $ à chaque adulte dont le revenu annuel était de 100 000 $ ou moins en 2021. Puis, il y a quelques semaines, le gouvernement caquiste a indiqué qu’il ferait parvenir d’ici la fin de l’année des chèques d’un maximum de 600 $ aux personnes qui gagnent moins de 104 000 $ par année. 

En septembre, le premier ministre de la Colombie-Britannique d’alors, John Horgan, a annoncé qu’environ 85 % des habitants de la province bénéficieraient d’une augmentation du paiement du crédit d’impôt pour l’action climatique, une décision évaluée à 1500 $ par an pour une famille de quatre personnes. 

Par ailleurs, il a annoncé une hausse des allocations familiales pour environ 75 % des familles britanno-colombiennes qui ont des enfants de moins de 18 ans. Cette majoration devrait être une mesure temporaire s’étendant de janvier à mars. Pour un parent seul avec un enfant, il s’agit d’une augmentation de 58 $ par mois. 

Le successeur de M. Horgan, David Eby, a annoncé la semaine dernière un crédit de 100 $ sur les factures d’électricité et a affirmé que le gouvernement accorderait un «crédit d’abordabilité» aux résidents à revenu faible et moyen. 

M. Shaw croit que d’autres provinces pourraient s’inspirer de telles mesures. «Je m’attendrais à ce que, si l’inflation reste élevée de manière persistante, nous puissions voir des mesures supplémentaires au niveau provincial ou une prolongation des mesures existantes.»