Des travailleuses du sexe contestent les lois criminelles devant les tribunaux

OTTAWA — Les nouvelles lois qui régissent le travail du sexe au Canada favorisent la stigmatisation, incitent à la violence ciblée et empêchent le consentement sécuritaire, a fait valoir lundi une alliance de groupes de défense des droits des travailleuses du sexe, à l’ouverture d’une contestation constitutionnelle des dispositions fédérales.

La Cour suprême du Canada avait annulé en 2013 l’interdiction de la prostitution au pays. Des avocats avaient alors plaidé avec succès que les dispositions fédérales étaient disproportionnées et de portée trop générale. La Cour suprême a aussi estimé que ces dispositions mettaient en danger les travailleuses du sexe en les forçant à pratiquer leurs activités dans la clandestinité.

Pour se conformer à l’arrêt de la Cour suprême, le gouvernement conservateur de Stephen Harper avait alors fait adopter en 2014 de nouvelles dispositions: la loi fédérale criminalise dorénavant l’achat de services sexuels plutôt que l’offre, mais elle interdit toujours la publicité et le proxénétisme.

Ce sont ces nouvelles dispositions que l’Alliance canadienne pour la réforme des lois sur le travail du sexe conteste cette semaine devant la Cour supérieure de l’Ontario, à Toronto. 

Les avocats représentant l’Alliance ont fait valoir lundi que les nouvelles dispositions sont plus restrictives que ce qu’elles ont remplacé, et qu’elles continuent en fait de criminaliser le travail du sexe au Canada.

Michael Rosenberg a plaidé devant le tribunal que les articles qui interdisent de faire de la publicité ou de communiquer sur l’achat ou la vente de services sexuels représentent «un risque inacceptable» pour les travailleuses du sexe, notamment parce qu’elles empêchent les contrôles de santé et de sécurité, ou les conversations significatives sur le consentement.

L’Alliance, qui compte notamment comme membres l’organisme montréalais Stella et le Projet L.U.N.E de Québec, estime également que les nouvelles dispositions violent la Charte canadienne des droits et libertés, qui garantit le droit à la sécurité.

Jenn Clamen, coordinatrice de l’Alliance, affirme que son organisme dispose d’un solide dossier de preuves à présenter au tribunal pendant les quatre jours d’audiences cette semaine.

«Notre dossier démontre les méfaits (des nouvelles dispositions) pour toutes les travailleuses du sexe, a-t-elle déclaré lors d’une entrevue lundi. Les travailleuses du sexe les plus marginalisées en souffrent, mais toutes les travailleuses du sexe, même les plus privilégiées, sont lésées par le régime législatif actuel.»

Mme Clamen soutient également que les lois obligent les professionnelles du sexe, et les personnes qui les entourent dans leur pratique, à travailler dans un contexte de criminalisation. 

«Ça veut dire que les travailleuses du sexe, les clients et les tiers (…) essaient tout le temps d’éviter d’être repérés par les forces de l’ordre et la police. Ça veut dire que les travailleuses du sexe sont actuellement contraintes à l’isolement en raison du risque constant de criminalisation.»

L’Alliance estime qu’il ne devrait pas y avoir de lois criminelles spécifiques au travail du sexe, et elle a élaboré des dizaines de recommandations pour créer une industrie décriminalisée, mais plus réglementée.

L’Alliance canadienne pour la réforme des lois sur le travail du sexe, créée en 2012, compte 25 groupes à travers tout le Canada, dont les organismes montréalais Rézo et Action Santé Travesti(e)s et Transsexuel(le)s du Québec, ainsi que l’organisme de Longueuil Émissaire.