Une femme brise le silence

Comment peut-on réapprendre à vivre après s’être fait voler son âme? Comment peut-on survivre lorsque notre vie s’est arrêtée ? « Ma vie s’est arrêtée le 21 septembre 2008. Depuis, je vis 24 heures à la fois », disait France Cloutier, cette jeune femme qui a été violée durant de longues heures par un collègue de travail. L’intervenante sociale tente tant bien que mal de se réapproprier sa vie après plus de trois ans de processus judiciaire.

« Je veux lancer un message d’espoir aux victimes de viol. Il faut dénoncer. Il faut que ça s’arrête. Il faut briser le cercle de la violence. Ce n’est qu’à ce prix qu’on peut recommencer à vivre », confiait-elle à L’Écho. Et le prix à payer est élevé. Dans son cas, ce fut trois ans et demi de procédures judiciaires. « Trois ans épouvantables. Je n’ai rien vécu d’aussi difficile, mais je suis tellement fière de m’être rendue jusqu’au bout. La condamnation de mon agresseur à 18 mois de prison valait la peine que je me suis donnée. De plus, il a été inscrit sur le registre des délinquants sexuels pour les 20 prochaines années », précisait cette femme encore très fragile, mais déterminée à faire passer un message d’espoir aux victimes.

Ces trois ans et demi, elle les a vécues difficilement. « J’étais à la cour toutes les fois où mon agresseur comparaissait. Tu revis l’agression sans cesse. Au palais de justice, on est tous dans le corridor, accusés et victimes, attendant notre tour. Une chance que le Centre d’aide aux victimes d’actes criminels (CAVAC) me soutenait. J’ai dû témoigner durant deux heures. Comme le processus a été très long puisque mon agresseur a changé d’avocat et qu’il y a eu la grève des procureurs de la couronne qui a retardé le procès, j’ai pu être solide lors de mon témoignage », ajoutait celle qui doit conjuguer avec un choc post-traumatique qui lui colle toujours à l’âme.

L’aide disponible pour passer au travers de ce cauchemar a été pour elle une véritable bouée de sauvetage. Que ce soit le CAVAC, les thérapeutes et les intervenantes de la communauté autochtone où elle travaillait, tous lui ont été d’un précieux secours. « Je ne voulais pas dénoncer. J’étais incapable de le faire » expliquait-elle en précisant que c’est l’intervenante sociale en elle qui a porté plainte.

« Comme je travaillais avec des enfants qui vivent de la violence et que je leur disais de ne pas se taire s’ils sont victimes, je n’aurais pas pu les regarder en face si je n’avais pas dénoncé », soulignait Mme Cloutier.

Cette agression qui a duré toute une nuit l’a laissée désemparée. « Mes collègues de travail, mes amies dans la communauté me disaient qu’il fallait que je dénonce, que je me rende à l’hôpital, car j’étais blessée. Il m’a fallu quatre jours pour me décider à me rendre à La Tuque. J’avais peur. J’étais une blanche et mon agresseur était autochtone, mais j’ai été tellement bien entourée que j’ai trouvé le courage de le dénoncer », confiait-elle.

Passer à travers un viol est déjà traumatisant, passer à travers le processus judiciaire l’est aussi, mais il le faut, ne serait-ce que pour retrouver sa dignité et sa confiance en soi. « J’ai été très bien entourée. J’ai des amis formidables qui m’ont écoutée, qui étaient là lorsque je vivais les flash-back, les crises de panique et d’angoisse », disait cette femme qui, encore aujourd’hui, frôle la panique lorsqu’une odeur, une silhouette ou un endroit clos la ramène à cette nuit fatidique.

« Je veux que ce soit clair. J’aurais pu être violé n’importe où. Mon agresseur aurait pu être un non-autochtone. Ça ne change en rien ma perception des autochtones. Des gens comme ça, il y en a partout, dans toutes les villes. Jamais je ne généraliserai. Je voulais rester dans mon milieu, mais finalement, à cause de l’intimidation dont j’ai été victime après la dénonciation, j’ai dû déménager. Je suis en arrêt de travail depuis ce temps, mais j’ai espoir de pouvoir retourner au travail un jour, lorsque je serai sorti de mon choc post-traumatique, déclarait celle qui veut faire des conférences pour témoigner et donner de l’espoir aux victimes. Il faut que le monde comprenne que lorsqu’on dit non, ça veut dire non. Il faut briser le cercle de la violence faite aux femmes, mais aussi aux enfants et aux hommes. »

France a commencé à écrire un livre sur le drame qu’elle a vécu, mais aussi sur le choc post-traumatique. Elle écrit lorsque ses cauchemars ne sont pas trop présents. Elle s’est installée près de la nature qui a été pour elle un véritable baume après l’agression. « Certains jours je ne peux rien faire, je suis comme paralysée. J’ai fait quatre tentatives de suicide. Mais je prends du mieux. Je sais que je ne guérirai jamais de cela, mais j’apprendrai à vivre avec », confiait-elle avec un mince sourire.