Mourir, c’est accepter de perdre le contrôle

DOSSIER TC. «J’aime rappeler à mes étudiants que le taux de mortalité est de 100%. Quel que soit notre âge, plus on est conscient que la mort fait partie de la vie, plus on sera préparé une fois le moment venu», souligne Sylvie Lapierre, professeure de psychologie et spécialiste en gérontologie à l’UQTR.

«Garder cette mentalité permet de vivre le moment présent et donc de mettre de l’énergie et de l’implication pour réaliser des projets. Quand on réalise des projets personnels, ça donne un sens à la vie, question de ne pas avoir de regrets quand vient le temps de mourir. Mais mourir n’est pas qu’une histoire de personnes âgées: les jeunes aussi peuvent mourir», soutient Mme Lapierre.

Elle précise qu’il importe d’identifier des projets qui nous tiennent à cœur en tenant compte de sa situation financière, médicale et psychologique. Bref, le secret est d’adapter ses projets pour pouvoir les réaliser.

«L’avantage de la mort, c’est de vivre, en ce sens que sans la mort, il n’y aurait pas d’urgence à vivre», rappelle Sylvie Lapierre.

Perdre le contrôle

Mourir, c’est aussi accepter de perdre le contrôle.

«Le contrôle est une grande illusion. Quand arrive le moment de mourir, il faut apprendre à lâcher prise pour partir en paix. C’est une étape extrêmement difficile. Quand j’ai demandé à mes étudiants ce qu’étaient pour eux une bonne mort, ils m’ont dit que c’était de n’avoir besoin de personne. C’est une autre grande illusion. C’est comme si c’était une mauvaise chose d’être dépendant», explique Mme Lapierre.

Mourir comme on a vécu

«Il n’y a pas de bonne ou de mauvaise façon de mourir», affirme Mme Lapierre. «Le processus menant à la mort est unique à chacun. Peut-être que les gens extérieurs à soi peuvent être choqués si l’on meurt avec des regrets, ce qui pourrait donner l’impression qu’on ne meurt pas bien. Pour moi, ça ne veut pas dire que l’on meurt mal. C’est mourir comme on a vécu.»

«Pour certains, bien mourir, c’est dire adieu à tout le monde et décéder sereinement. Ça peut être ça. Je pense surtout que ce type de mort laisse un héritage, un modèle pour faire face à la mort pour tous ceux qui restent. Cette mort sereine peut être profitable en ce sens que ça laisse une image moins négative de la mort», ajoute la spécialiste.

«Par exemple, quand la mort d’un proche est longue et souffrante, la famille a tendance à se souvenir seulement de la souffrance associée à la mort.»

Être «prêt»

Encore faut-il être prêt à mourir. Qu’est-ce que ça signifie «être prêt» pour cette étape ultime?

«C’est quand on est détaché de la vie, qu’on est prêt à passer dans l’autre monde, si je peux dire. Je fais souvent un parallèle entre la mort et le voyage. Quand on part en voyage, on dit au revoir à tout le monde et on quitte heureux. Je pense que ceux qui croient à une vie après la mort ont probablement plus de facilité à se détacher de la vie concrète pour être conduits vers la vie spirituelle», dit Sylvie Lapierre.

Quelque chose à quoi s’accrocher

Le fait que la société ait évacué la spiritualité de son quotidien risque possiblement de compliquer les choses pour les futures générations, avance Mme Lapierre.

«C’est plus difficile pour les gens de mourir quand ils n’ont rien à quoi s’accrocher. Je crois que ce sera très difficile pour les prochaines générations de mourir. Beaucoup de mes étudiants n’ont jamais mis le pied dans un salon funéraire. Ils sont en état de choc quand un proche décède. C’est comme si la mort était surprenante, complètement anormale. J’ai l’impression que pour eux, la mort, c’est virtuel. Ça ne se vit qu’à la télévision, dans les jeux vidéo, mais pas dans la vraie vie.»

Même en vieillissant, la mort demeure un sujet tabou.

«J’ai plusieurs collègues de mon âge aussi et forcément, on commence à y penser. Mais notre cerveau est surtout conscient que nous n’avons plus les mêmes capacités physiques qu’avant et qu’on vieillit. Il y a la mort sous cette idée, mais on n’y pense pas trop non plus», confie Mme Lapierre.

Soins palliatifs, une solution?

La professeure Sylvie Lapierre est convaincue que le développement des soins palliatifs permettrait de mieux répondre aux besoins des familles et des mourants.

«Le but des soins palliatifs est d’améliorer la qualité de vie sans grosse technologie médicale qui coûte cher ni acharnement thérapeutique. (…) C’est ce que ça prend pour mieux accompagner la famille et le mourant», souligne Mme Lapierre.