«La méthamphétamine, c’est jouer à la roulette russe»

C’était la reprise jeudi au palais de justice de La Tuque du dossier concernant Stéphane Desroches qui a été arrêté le 14 avril 2011 avec près de 25 000 comprimés de méthamphétamine dans le cadre de l’opération déluge. Dans le cadre des représentations sur sentence, le procureur de la couronne au dossier, Matthieu Poliquin a fait entendre deux témoins experts. De son côté, l’avocat de la défense Me Denis Otis fera entendre ses témoins lors de la suite des représentations le 20 novembre prochain.

Rappelons que lors de la saisie du 14 avril 2011 au domicile de Stéphane Desroches, les policiers avaient perquisitionné 24 759 comprimés de méthamphétamine, 3099 grammes de cannabis, et 166 121$ en argent liquide.

Le premier témoin à être appelé par la couronne a été le Dr Claude Rouillard, un professeur et chercheur au département de psychiatrie de l’université Laval. M. Rouillard a été considéré par le juge Richard Poudrier comme étant un expert en neuropharmacologie, un domaine qui fait état de l’effet des drogues et des médicaments sur le cerveau.

M. Rouillard a largement expliqué les effets de la méthamphétamine sur les consommateurs. «La méthamphétamine est un psychostimulant, dont l’utilisation peut détruire les terminaisons nerveuses du cerveau. Nous sommes présentement dans l’ère où les consommateurs prennent des drogues stimulantes. C’est en 2003 que la méthamphétamine a pris une grosse part du marché. La progression s’explique parce qu’il s’agit d’une drogue peu coûteuse, et les gens n’ont pas l’impression de consommer de la drogue puisque c’est une pilule. Toutes ces pilules ont des logos, comme une Ferrari, qui peut donner l’illusion de la puissance et de la qualité. Mais les logos ne veulent rien dire. Deux comprimés identiques peuvent avoir une différente dose, mais le consommateur ne le sait pas. La méthamphétamine est fabriquée dans des laboratoires clandestins.»

M. Rouillard a poursuivi son témoignage en expliquant que les drogues stimulantes agissent sur une partie du cerveau précise : la dopamine. La dopamine permet aux êtres humains de profiter des plaisirs de la vie. Un manque de dopamine peut conduire vers des symptômes dépressifs. «Plus la drogue stimule la dopamine, plus il y a une dépendance. La méthamphétamine peut élever le taux de dopamine de 9 à 12 fois plus élevée que la normale, et de 10 à 12 heures. Les effets recherchés par les consommateurs sont l’euphorie, plus d’énergie, et l’impression de pouvoir faire plein de choses. Mais pour le cerveau, ce n’est pas la même chose. Il s’agit d’effets très puissants, mais il existe une multitude d’effets à long terme, autant sur le cerveau que pour le cœur. L’irritabilité est un important symptôme psychotique, et un surdosage peut même entraîner la mort. La concentration de méthamphétamine dans un comprimé est très variable, mais le consommateur ne le sait pas. Concernant les effets à long terme, comme scientifique, j’ai peur puisque les experts ne connaissent pas encore tout à fait tous les effets nuisibles comme cette drogue est au Québec depuis 1998. Chose certaine, une tolérance à la méthamphétamine s’installe, et aussi pour les autres drogues et les médicaments. Cette drogue peut déclencher une maladie mentale, des problèmes vasculaire, cardiaque et pulmonaire. Des études scientifiques font une relation entre la méthamphétamine et la schizophrénie. Ce sont en moyenne des gens de 15 à 45 ans qui sont des consommateurs. Est-ce qu’ils vont payer plus tard? Il n’existe pas de doses de méthamphétamine qui ne sont pas nocives. Des experts ont aussi vu des impacts sur les fonctions cognitives. Cette drogue peut aussi emmener des problèmes de dentition puisqu’elle cause une contraction des vaisseaux sanguins, et les dents manquent de sang. L’héroïne est considérée comme la mère de toutes les drogues en raison de sa puissance, mais il n’y a pas de conséquences médicales comme la méthamphétamine.»

Une spécialiste en drogues à la SQ

Le deuxième témoin appelé par Me Poliquin était Suzanne Delarochellière, spécialiste en drogues à la Sûreté du Québec (SQ).

Mme Delarochellière a d’abord mentionné que la méthamphétamine est conçue dans des laboratoires clandestins, et la SQ en démantèle de 6 à 8 par année. «Il n’y a pas de contrôle de la qualité dans ces laboratoires. Consommer de la méthamphétamine, c’est comme jouer à la roulette russe en raison des différences des composantes de cette drogue. La clientèle a beaucoup changé. Auparavant, c’était les gens qui allaient dans des raves, et maintenant, on retrouve des consommateurs âgés de 15 ans. Cette drogue circule facilement dans les écoles, ou même sur les pentes de ski. Le plus inquiétant dans votre secteur, c’est que la méthamphétamine est sniffée, ce qui cause encore plus d’effets et de tort que de l’ingérer en comprimé. Cette drogue se retrouve de plus en plus sur le marché. En août 2012, nous avions déjà dépassé les chiffres pour l’année 2011 entière. Ç’a triplé depuis 2005.»

La spécialiste a affirmé qu’elle a vu seulement à deux reprises des dossiers de saisies de 25 000 comprimés pour du trafic, incluant le présent dossier, et en excluant les perquisitions réalisées dans les laboratoires. Lors de la perquisition, les policiers ont saisi une liste de comptabilité au domicile de l’accusé. «Cette liste est assez méthodique. La particularité avec notre analyse de cette liste est que l’accusé est quelqu’un qui s’est établi un monopole. Habituellement, lorsqu’un vendeur détient 25 000 comprimés, il ne vend pas par centaine de comprimés, et encore moins à l’unité. Ce qui était le cas dans le présent dossier. Il avait même un logo sur les comprimés qui était propre à lui.»

Mme Delarochellière a aussi établi un calcul du potentiel de rendement économique de la revente sur la rue. Avec les 25 000 comprimés de méthamphétamine, elle estime le potentiel à 404 345$, et pour les 3099 grammes de cannabis, le potentiel est de 65 280$, pour une somme de 469 625$.

«Lorsqu’une personne est capable d’être approvisionnée de 25 000 comprimés de méthamphétamine, elle doit avoir un lien solide et acheter fréquemment la drogue, en plus d’avoir une proximité avec le laboratoire clandestin. Peu de gens prennent ce genre de risque d’avoir 25 000 comprimés», termine la spécialiste.