De la Pologne à La Tuque

TÉMOIGNAGE. Le récent Jour du souvenir nous amène à nous rappeler les sacrifices de nombreuses personnes, effectués dans des conditions difficiles. Derrière ces histoires, on découvre des gens, que l’après-guerre a ensuite conduit à un destin heureux. 

C’est le cas de Zbigniew Witkowski, un Latuquois de 96 ans qui ne fait pas son âge. Lui et son épouse Marie-Paule Filion partagent le récit d’une vie qui fut tout, sauf ennuyante.

Une enfance heureuse

Aîné d’une famille de quatre enfants, M. Witkowski affirme sans détour qu’il a eu une enfance heureuse. Son père travaillait dans une grande seigneurie à Horodoc, en banlieue de Lwow, sa ville natale de Pologne. Durant les vacances, il travaillait à la seigneurie, lui aussi. Il raconte qu’à l’école, il a terminé en sixième année. Il devait faire chaque jour quatre kilomètres à pied pour se rendre à l’école, beau temps mauvais temps. Étant catholique, chaque fois qu’il passait devant l’église, il enlevait sa casquette. Et pour prouver qu’il avait bel et bien assisté à la célébration eucharistique, il lui fallait un papier signé par le curé.

Puis, la guerre

Le second conflit mondial éclate en 1939. En 1942, à 18 ans seulement, les Allemands ont besoin de main d’œuvre: les garçons sont tous au front, en Russie et en Afrique. Lui et sa sœur aînée sont emmenés au train par leurs parents, avant d’atteindre un camp de travail. Il ne les a jamais revus par la suite. Il a creusé des tranchées à Bocholt, en Allemagne, avant d’être affecté à la construction de wagons de train et, plus tard, dans une ferme avec d’autres Polonais. C’étaient des conditions difficiles. Il n’avait pas de salaire pour ces longues heures de labeur.

M. Witkowski a vécu des bombardements, près d’où il était. On entendait au loin arriver des avions, qui tiraient. «Des morceaux d’obus tombaient. On était obligé de mettre une pelle sur notre tête, pour ne pas recevoir des éclats», se rappelle-t-il. Une autre fois, une bombe est tombée tout juste où il était avant de descendre un escalier. «J’ai été chanceux dans ma vie […] Je ne suis pas tuable», lance-t-il, non sans sourire.

Le Canada

Après la guerre, ceux qui veulent à s’établir dans un autre pays ont le choix entre le Canada, les États-Unis et l’Australie. Zbigniew Witkowski demande d’immigrer au Canada. De l’Allemagne, il atteint la France, avant de se diriger vers Québec. De Québec, il prend le train pour La Tuque. En arrivant, tel que le stipule son contrat qui prévoit que son voyage en bateau sera défrayé par le gouvernement, il doit travailler un an dans une ferme, ce qu’il a fait à Carignan. Sitôt son engagement terminé, pendant trois ans, il va à la construction des Centrales La Trenche, pour la Shawinigan Engeneering. Après ces travaux, il œuvre à la centrale de Rapide-Blanc, puis à Clova, de même qu’au Labrador.

Infatigable, il a travaillé à la construction du colisée municipal et fera le solage de bâtiments à logements du quartier Bel-Air.

Au fil des ans, il a travaillé au garage Dubois, à la pisciculture de Lionel Fortin, puis pour son frère Gaston Fortin, alors propriétaire du restaurant le Pignon Rouge. Cet homme débrouillard sera affecté à la maintenance, pendant 17 ans, avant de prendre sa retraite, à 65 ans.

«Il n’a jamais manqué d’ouvrage», témoigne Mme Witkowski, qu’il a épousée en 1956, avec laquelle il a eu deux filles.

Après 43 ans, en 1985, il a la chance de revoir deux de ses sœurs alors qu’il retourne, avec son épouse, dans son pays d’origine, un moment émouvant. Six ans plus tard, il retrouve également sa sœur cadette qu’il n’avait pas, non plus, revue depuis toutes ces années. Depuis son départ de sa terre natale en 1942, lui et sa femme Marie-Paule sont allés six fois en Pologne, pour des séjours qui ont varié entre trois semaines et un mois.

Il a connu quelques accidents dans sa vie, mais malgré les embûches, il conserve un solide sens de l’humour. C’est assurément cette grande force de caractère et la résilience qui font traverser aussi aisément les années à ce sympathique couple.