La médecin au cœur de la tempête

«Pendant plus d’un mois, je n’ai presque pas dormi. Ça me hantait. Mon bureau ressemblait à un champ de bataille. Je commençais tôt le matin et je finissais à 21h. Je m’accordais deux heures pour décompresser avant de me coucher et de recommencer le lendemain.» Plongée au cœur de la tempête, il y a un an, la Dre Lise-Andrée Galarneau a remué ciel et terre pour comprendre et gérer les éclosions de COVID-19. C’est avec humilité qu’elle a accepté de se confier sur ce qu’elle a vécu au cours de cette dernière année stressante et épuisante.

Microbiologiste-infectiologue, Dre Galarneau est responsable de la prévention et du contrôle des infections au Centre intégré universitaire de santé et de services sociaux de la Mauricie-et-du-Centre-du-Québec (CIUSSS MCQ). En mars dernier, elle a entrepris une véritable course contre la montre alors que le virus frappait durement le Québec, laissant derrière lui des centaines de morts.

«Cette dernière année a été une multiplication et une succession de défis, dit-elle d’emblée. Je suivais ce qui se passait en Chine. Vers le 27 janvier 2020, j’ai compris que quelque chose de gros s’en venait ici et que c’était inévitable. Tout de suite, j’ai commencé à me préparer.»

«Avant le 25 avril, je n’ai presque pas dormi. Ça me hantait.»

– Dre Lise-Andrée Galarneau

Au départ, avec son équipe, elle a développé une stratégie inspirée des mesures appliquées en cas d’éclosion de grippe, en augmentant le tout d’un cran. «Mais quand le virus est arrivé, on a vite compris que c’était très loin d’être suffisant, même si on en faisait déjà plus que pour la grippe, raconte Dre Galarneau. Il fallait une autre approche. Et vite.»

«On était face à l’inconnu, ajoute-t-elle. C’était du jamais vu. En plus, dans le temps, on ignorait beaucoup de choses. Par exemple, on ne savait pas encore qu’il y avait des personnes infectées asymptomatiques. Si c’était à refaire, on ferait autrement, mais on n’avait aucune donnée ni aucun référent en main à l’époque. On ne savait pas, dans ce temps-là, contre quoi on se battait.»

Confrontée à l’échec et contrainte d’agir rapidement, Dre Galarneau admet avoir vécu un grand stress. «Ma façon à moi de gérer le stress, c’est de chercher, chercher et encore chercher pour trouver une solution, indique-t-elle. C’est ce que j’ai fait. J’ai fait d’innombrables lectures, recherches et analyses. Je savais que j’allais finir par trouver quelque chose. C’était devenu une passion et une obsession.»

Le déclic

Pendant plus d’un mois, elle n’a pratiquement pas fermé l’œil. Dans son bureau du matin au soir, les écrits scientifiques et les données s’enchaînaient. Puis, dans la nuit du 25 avril, elle a finalement eu un déclic. «Après un mois à me casser la tête, je savais ce qu’il fallait faire, soutient-elle. J’ai appelé ma collègue à 7h le samedi matin pour lui dire que j’avais compris et qu’il fallait organiser une conférence de presse pour informer les gens.»

Initialement, son mandat était de prévenir la transmission de la COVID-19 à l’intérieur des établissements de santé. Ce n’est qu’après qu’on lui a confié la gestion des éclosions en CHSLD. Avec le temps, Dre Galarneau a développé une stratégie pour anticiper les dommages lorsqu’il y a une éclosion, en fonction du nombre de personnes infectées.

«Je n’aurais jamais pensé que la plus grosse menace des travailleurs était leurs collègues, mentionne-t-elle. Quand on a compris ça, on avait une première pièce du casse-tête. On a beaucoup travaillé cette stratégie avec les travailleurs. On a appliqué aussi des mesures auprès des usagers. Et on a vu des résultats. Ça fonctionnait.»

«Quand on gère une crise et qu’on ne sait pas ce qui nous attend, c’est très stressant, renchérit-elle. Mais le niveau de stress diminue quand on peut anticiper et, de cette façon, contrôler la situation. C’est ce qui est arrivé.»

Son travail a même fait écho jusqu’à Québec. Les méthodes qu’elle a développées pour réduire les risques de contagion et empêcher la propagation du virus ont été citées en exemple par le gouvernement.

Huit mois intensifs

Au cours de la dernière année, Dre Galarneau a consacré huit mois uniquement à la gestion de la crise. «C’était épuisant, mais ma plus grande satisfaction, c’est d’avoir amené des milieux de travail et de soins plus sécuritaires pour nos travailleurs», confie-t-elle.

«Dans les premières éclosions, ça pouvait être 50 % des usagers qui étaient infectés, poursuit-elle. Maintenant, dans le pire des cas, c’est 30 %. C’est preuve que les actions mises en place fonctionnent.»

Tous les jours, elle regarde les données pour voir si des travailleurs de la santé sont touchés par le virus. «Quand c’est le cas, on débarque la machine de guerre, lance-t-elle. Quand j’arrive dans un milieu en éclosion, je ramasse les pots cassés. Je ne peux pas refaire le passé, mais je peux casser la roue de la contamination. Mon rôle, c’est de minimiser les impacts. Le risque zéro n’existe pas, mais je peux tout mettre en œuvre pour réduire le plus possible le risque de contamination.»

À cela s’ajoutent des facteurs qui font en sorte que le défi est parfois plus grand. C’est le cas notamment des endroits avec une clientèle ayant des troubles cognitifs. «Autant de milieux différents, autant de défis différents», illustre Dre Galarneau.

L’arrivée de la vaccination

Maintenant que la situation est sous contrôle, elle reprend peu à peu ses activités en clinique, tout en poursuivant ses efforts pour vaincre le virus. «J’ai eu un soutien incroyable et une belle collaboration des collègues et de la direction, dit-elle. Des collègues ont pris le relais pour moi en clinique quand je ne pouvais pas y être. On m’a fait confiance et je leur en remercie. Je suis privilégiée d’avoir une équipe qui me soutient autant.»

La dernière année n’a pas été de tout repos, mais elle constate avec soulagement les effets positifs de la vaccination. «J’ai analysé l’arrivée de la vaccination et son impact, affirme-t-elle. J’ai pu voir que, lorsqu’il y a une éclosion dans une unité où il y a eu vaccination, c’est seulement quatre personnes environ qui sont touchées comparativement à une quinzaine avant la vaccination. C’est un autre grand pas qui est franchi.»

«En voyant ça, mon inquiétude a beaucoup diminué. J’ai été rassurée. Je suis confiante qu’on sera mieux outillé, avec le vaccin, pour faire face aux variants. Ce qu’on voit pour le moment est encourageant», conclut Dre Lise-Andrée Galarneau.