Connaître l’horreur, éveiller les consciences

COMMUNAUTÉ. Le décès tragique de Joyce Echaquan à l’hôpital de Joliette, il y a près d’un mois maintenant, a ébranlé le Québec tout entier. Cette mère autochtone aura été victime de racisme jusqu’aux derniers instants de sa vie. Dans les centres de santé, hôpitaux, communautés autochtones et allochtones, les regards ont peut-être changé à tout jamais.

Cet événement tragique a certainement créé une fracture supplémentaire entre les différentes communautés. Localement, mais aussi à travers tout le pays. Au Centre d’amitié autochtone de La Tuque, on travaille à panser les plaies même si on estime que «ce qui s’est passé n’est pas tant une surprise. C’était déjà là, bien avant l’affaire de Joyce. C’est venu brasser beaucoup de gens, y compris nos partenaires», explique Laurianne Petiquay, directrice de cet organisme présent dans la communauté depuis 46 ans.

«On est témoin des inégalités sociales et des services inadéquats pour les autochtones en milieu urbain. Les gens parlent du racisme et de la discrimination dans l’ensemble des services publics. Oui, il y a de bonnes initiatives et des partenariats qui se sont solidifiés au fil des ans. Mais ça ne veut pas dire que tout va bien», poursuit Mme Petiquay qui cite les nombreux cas de discrimination en matière de logement.

«À La Tuque, le service est plus adéquat quand ils (autochtones) sont accompagnés, remarque-t-elle en ajoutant que les aînés sont devenus encore plus méfiants. Ça fait peur à certaines personnes. Les jeunes ne comprennent pas pourquoi il y a autant de haine. Ça fait beaucoup de dommages dans la société.»

Au Conseil de la Nation Atikamekw (CNA) on constate que «la confiance a pris toute une débarque par rapport aux services publics, particulièrement à ce qui a trait aux services de santé. On essaie de les rassurer. La plupart des gens comprennent que ce n’est pas systématique, mais c’est présent. Il y a un malaise actuellement dans les communautés», ajoute le Grand chef et président du CNA, Constant Awashish.

Le CIUSSS Mauricie–Centre-du-Québec rapporte que les comportements observés à Joliette en ont choqué plus d’un, et pas seulement les personnes autochtones. «Beaucoup d’infirmières se sont indignées. L’onde de choc est là. Ça a un peu éveillé les gens. Sachant cela, on va essayer de faire encore mieux, de montrer qu’ils sont des alliés», explique Jennifer Petiquay-Dufresne, agente de liaison autochtone pour le CIUSS Mauricie–Centre-du-Québec. Elle qui travaille à aplanir les tensions, à rassurer et à mettre en place depuis 2018 un certain nombre d’actions de sécurisation culturelle.

«J’ai effectué la tournée de toutes les directions cliniques du CIUSSS-MCQ en faisant la promotion des réalités culturelles autochtones. Chaque direction a pris un engagement envers l’adaptation de ses services. On est en période de mise à jour de ces actions, pour voir comment on peut aller encore plus loin», explique Mme Petiquay-Dufresne. «Au niveau de La Tuque, on a une interprète-accompagnatrice et on travaille à exporter ce modèle dans d’autres établissements du CIUSSS-MCQ. On a beaucoup d’intervenants qui sont sensibles à cela, pour accompagner (les communautés autochtones) dans la bienveillance», explique l’agente de liaison du CIUSSS-MCQ, lequel se met en mode écoute.

«On sait que les personnes autochtones ne portent pas souvent plainte, explique Mme Petiquay-Dufresne. Le CIUSSS partira donc à leur rencontre, pour les entendre. C’est en allant à la rencontre des gens qu’on peut le savoir.»

Aplanir les tensions, dissiper les craintes

Les acteurs du milieu se mobilisent. L’affaire Joyce «va donner un coup de fouet à nos plans d’action. Les gens vont être plus mobilisés pour que les choses changent. On est en mode action, notamment avec la Table d’accessibilité locale que je copréside avec une personne du CIUSSS-MCQ», explique Laurianne Petiquay. Des décideurs de l’ensemble des services publics siègent à cette table, de même que le Conseil des Nations Atikamekw.

«L’objectif ultime est d’améliorer les conditions de vie globales des autochtones. C’est en construisant des choses ensemble qu’on va y arriver. Il y a de la bonne volonté. Il y a des véhicules qui existent.»

Panser les plaies et éduquer

Comment penser les plaies et aller de l’avant alors que tant de besoins demeurent criants? Constant Awashish, Grand chef et président du Conseil de la Nation Atikamekw (CNA), demeure confiant.

Il faut d’abord savoir «reconnaitre le problème», explique-t-il.

«Ça aurait aidé si le gouvernement en place ne s’était pas entêté sur le terme racisme systémique. Ça aurait aidé à enrayer cette problématique qui est très sournoise.» Le racisme envers les Premières Nations est «ancré dans l’imaginaire. Ça vient de plusieurs décennies de manœuvres politiques, de lois et législations qui ont défavorisé les Premières Nations. C’était le but, il fallait coloniser», explique Constant Awashish.

Les défis semblent titanesques tant les racines de la discrimination envers les Premières Nations semblent ancrées dans l’histoire. Les membres du CNA «sont encore bouleversés. Le rideau est levé, l’abcès est crevé», ajoute M. Awashish. Le temps de la guérison devrait suivre. Pour cela «il va falloir que les gouvernements travaillent très fort au niveau de l’éducation populaire» et impliquer tous les services publics.

Selon lui, il faudra faire de la formation en continu du personnel et travailler en étroite collaboration avec les nations concernées. Le territoire québécois est composé de 11 nations.

«Il est important de comprendre leurs particularités et d’augmenter leur représentation au sein des conseils d’administration des CIUSSS, du ministère de la Santé ou de l’Éducation. On a besoin de voir plus de Premières Nations à tous les niveaux». Le premier travail à faire est de reconnaitre la situation. «J’ai beaucoup confiance aux Québécois et aux Québécoises», dit-il.

La population est consciente qu’il y a de la discrimination et du racisme envers les autochtones dans le système public, estime M. Awashish.

«Il faut avoir une collaboration des autorités. Les gens sont troublés. Les Québécois sont prêts à participer au changement. On a reçu un appui incroyable. De voir à travers une vidéo toute cette souffrance. Les yeux sont rivés sur le gouvernement du Québec. C’est pas gagnant de s’entêter comme il le fait», ajoute M. Awashish.

Le principe de Joyce

Le CNA travaille en collaboration avec le Conseil Atikamekw de Manawan à l’élaboration du Principe de Joyce, qui se veut un plan de match, une cartographie des irritants et des comportements à corriger. Le Principe de Joyce nommé bien sûr à la mémoire de Joyce Echaquan «doit tracer les grandes lignes de ce qui doit maintenant être fait en matière de services rendus aux Premières Nations. Dans le respect, dans la dignité et dans la sécurité».

Le CNA invite tous ceux qui s’intéressent aux services de santé, les professionnels, les universitaires, et le public «à venir partager leurs expériences, commentaires et recommandations. Ces témoignages seront compilés afin d’élaborer le Principe de Joyce qui sera présenté au gouvernement Legault» de même qu’au fédéral. «Les grandes lignes sont déjà tirées. On parle de formations, d’interventions au niveau des ordres professionnels, de relations avec les gouvernements. Il s’agit d’arriver avec un genre de guide que les gouvernements devront suivre pour s’assurer que les Premières Nations reçoivent des soins dignes d’un pays comme le Canada», conclut le Grand chef et président du Conseil de la Nation Atikamekw (CNA), Constant Awashish.