Le gouvernement ouvre la porte à déclassifier des documents concernant les nazis

OTTAWA — Le Canada pourrait se pencher sur la demande de certains groupes qui souhaitent que le gouvernement déclassifie les documents contenant des informations sur la présence de criminels de guerre nazis au Canada, a affirmé mercredi le ministre de l’Immigration, Marc Miller.

«Le Canada a une histoire très sombre avec les nazis au Canada», a affirmé M. Miller, avant la réunion hebdomadaire du caucus libéral.

«Il y a eu un moment dans notre histoire où il était plus facile d’entrer au Canada en tant que nazi qu’en tant que juif. Je pense que c’est une histoire que nous devons réconcilier», a-t-il ajouté.

De nombreuses organisations juives du Canada affirment que, pour ce faire, il faut rendre publiques les informations, ce qui signifie que tous les dossiers dont dispose le Canada sur la présence de criminels de guerre doivent être rendus publics.

«Je pense qu’une partie du problème réside dans le fait que les dossiers sont fermés», a déclaré David Matas, avocat principal de B’nai Brith, en entrevue. 

«On ne peut pas se souvenir du passé sans connaître le passé, et on ne peut pas connaître le passé sans obtenir les dossiers.»

La Commission Deschênes 

B’nai Brith Canada et les Amis du Centre Simon Wiesenthal ont tous deux réitéré cette semaine leurs appels de longue date pour que le gouvernement rende publics tous les documents relatifs à l’admission d’anciens soldats nazis. 

Cela inclut l’intégralité d’un rapport de 1986 d’une commission publique sur les criminels de guerre, souvent appelée Commission Deschênes en référence au juge qui l’a dirigée. 

Le rapport n’a jamais été publié dans son intégralité, y compris une annexe contenant les noms de 240 criminels de guerre nazis présumés qui pourraient vivre au Canada et sur lesquels le rapport recommandait au Canada d’enquêter.

«Il est maintenant temps pour Ottawa non seulement de divulguer les dossiers non censurés relatifs à la Commission Deschênes, mais qu’il aborde également la dure réalité selon laquelle d’anciens nazis ayant du sang sur les mains vivent encore au Canada», a déclaré le président des Amis du Centre Simon Wiesenthal, Michael Levitt.

M. Matas a rappelé qu’en juin, une commission de la Chambre des communes chargée d’étudier le système d’accès à l’information du Canada a recommandé que tous les documents historiques soient rendus publics dans leur intégralité après 25 ans. 

Il a indiqué que la mise en œuvre de cette recommandation répondrait au désir de voir les dossiers des criminels de guerre canadiens.

Actuellement, les dossiers peuvent être divulgués 20 ans après le décès d’une personne. Mais M. Matas soutient que cette règle ne s’appliquait pas dans ce cas, car les informations sur les personnes décédées ne sont accessibles que si leurs noms sont disponibles.

Selon lui, ce n’est pas que toutes les personnes citées dans les dossiers soient coupables, mais le système judiciaire repose sur l’ouverture, et il n’y a pas de justice sans transparence, que l’on soit coupable ou innocent.

Par ailleurs, le public ne dispose que de très peu d’informations, voire d’aucune, sur le suivi des enquêtes menées sur les criminels de guerre présumés cités dans le rapport Deschênes, ou sur la traduction en justice de l’un d’entre eux.

Une controverse qui relance le débat

Tout cela intervient après ce que certains ont appelé la débâcle internationale la plus embarrassante de l’histoire du Canada.

Vendredi, lors d’une visite officielle du président ukrainien Volodymyr Zelensky, le président de la Chambre des communes a salué un invité dans la tribune qu’il a identifié comme un héros de guerre.

Les parlementaires et les dignitaires présents ont ovationné à deux reprises un ancien combattant ukraino-canadien de 98 ans, sans savoir ni comprendre que l’unité avec laquelle il avait combattu avait été formée par l’Allemagne nazie pour lutter contre l’Union soviétique.

Le président Anthony Rota, qui a indiqué ne pas connaître les antécédents de Yaroslav Hunka, s’est excusé d’avoir commis une grave erreur en l’invitant au Parlement. Il a annoncé mardi qu’il démissionnait de son poste.

Mercredi, le premier ministre Justin Trudeau a présenté des excuses au nom du Canada et de tous les parlementaires pour cette débâcle.

Selon M. Matas, ce tollé a relancé le débat sur la pertinence de rendre publics les documents concernant la présence de criminels de guerre au Canada. 

«Je pense que cette question est désormais dans le collimateur des autorités, a-t-il déclaré. Elles y prêtent attention.»

M. Miller a mentionné avoir lu le rapport Deschênes deux fois depuis que tout cela s’est produit, et il a encouragé tous les Canadiens à le faire. 

Il a également déclaré qu’il savait que de nombreuses personnes demandaient la divulgation des dossiers, et que le gouvernement «pourrait éventuellement réexaminer la question». 

Toutefois, comme il ne sait pas exactement ce que contiennent les documents, il ne veut pas dire s’il est favorable à leur divulgation intégrale.

«Mais encore une fois, dans un pays comme le Canada qui a non seulement une histoire difficile avec les nazis au Canada, mais aussi l’une des plus importantes diasporas de juifs, y compris certaines des plus grandes proportions de survivants de l’Holocauste, l’impunité n’est absolument pas une option», a-t-il affirmé.

La ministre de la Santé mentale, Ya’ara Saks, dont la circonscription de York-Centre, à Toronto, compte environ un cinquième de population juive, a déclaré que le Canada devait examiner ce qu’il pouvait faire pour aider les Canadiens juifs à obtenir des réponses et à tourner la page. 

Elle a affirmé que l’ouverture des dossiers était une solution à envisager.